"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

CRONSTADT... par Lucien Laugier



-          1921 –

CRONSTADT ET LE Xe CONGRES DU PC RUSSE

Ces deux événements consacrent un tournant décisif de la politique bolchevik. A l’intérieur, ils incitent les bolcheviks à supprimer les dispositions économiques du « communisme de guerre » et à promouvoir une politique de « bons rapports » avec la paysannerie (impôt en nature substitué aux réquisitions forcées, NEP) ; sur le plan international, ils accentuent l’hostilité des dirigeants russes à l’égard des tendances « gauchistes » de l’Internationale.

En mars 1921, trois mois après la liquidation victorieuse de l’intervention blanche, la Russie soviétique est en proie à la famine, à la désorganisation, à l’agitation sociale. La démobilisation a créé une armée de chômeurs. Lénine cache mal, lorsqu’il critique devant le Xe congrès, le « luxe » inutile de la discussion sur les syndicats, que cette discussion est pour quelque chose dans l’apparition de revendications ouvrières et le mécontentement paysan face aux réquisitions en présence d’une récolte mauvaise. L’insurrection de Cronstadt traduit cette situation en termes politiques violents. Elle met en cause l’autorité exclusive du parti bolchevik, revendique un véritable pouvoir des soviets, ce qui implique la réapparition de tendances (anarchistes) et de partis (socialistes-révolutionnaires, mencheviks) précédemment mis hors la loi par les bolcheviks. Cette revendication selon Lénine, signifie « les soviets sans les bolcheviks », mot d’ordre qui, en réalité, ne figure pas expressément dans les résolutions de Cronstadt, mais est plutôt diffusé par la propagande anti-bolchevik de politiciens émigrés. L’affaire de Cronstadt n’en constitue pas moins une rupture nette et catégorique de la population civile et (en partie) militaire à l’égard du parti bolchevik, et qui survient par ailleurs en même temps qu’une vague de grèves ouvrières sévèrement réprimées à Petrograd.

Après l’écrasement de l’insurrection, le Xe congrès du PC russe consacre la voie dans laquelle le parti bolchevik de l’Etat russe est désormais irrésistiblement engagé. Sur le plan économique, la liberté rendue au petit commerce et les concessions proposées au capital étranger tracent la perspective d’un développement contrôlé du capital en Russie, en vue de l’objectif, encore lointain, d’un capitalisme d’Etat.

Sur le plan politique, les conditions dans lesquelles est condamnée « l’Opposition ouvrière » (accusée de connivence idéologique avec Cronstadt) sont celles d’un véritable terrorisme moral. L’appel à l’unité se fonde sur la falsification des faits en ce qui concerne l’insurrection ; tandis que la responsabilité capitale de la bureaucratie soviétique dans le fait de son déclenchement est escamotée derrière une vague pétition de principe en faveur de la « démocratie interne ». En assimilant la révolte de Cronstadt à une « contre-révolution petite bourgeoise et anarchiste », les dirigeants bolcheviks déploient un chantage à la « confiance » et à la « cohésion » qui renforce, dans le parti, un climat d’Union sacrée que le stalinisme, ultérieurement, saura exploiter. Enfin l’argumentation théorique adapte Marx aux conditions impératives qui règnent dans la Russie soviétique isolée : étant donné que le développement du capital est condition primordiale du socialisme futur, ce développement est conçu et adopté sans considération pour les atteintes qu’il porte à la classe sociale dont ce socialisme dépend.
Dans le PCI, on a toujours été mal à l’aise à propos de la « tâche sombre » que constituait la répression de Cronstadt. Outre diverses autres raisons liées à la situation politique du second après-guerre, le peu d’empressement à rouvrir le dossier découlait en partie de la manière stérile dont procédaient ceux qui soutenaient la nécessité de cette réouverture : en exigeant la condamnation ou la réprobation de la politique bolchevik en cette affaire, comme si de cet acte moral découlait le sort de la révolution future. En réalité ce silence rétrospectif sur Cronstadt ne se défendait que grâce à la conviction cachée que cette révolution future n’affronterait plus de telles situations et qu’on pouvait donc se dispenser de se prémunir contre elle à l’aide de pures pétitions de principe.
Non seulement les événements récents dans le PCI, dont nous parlons par ailleurs, montrent que ce parti s’arme allègrement de la conviction enthousiaste d’avoir à répéter la répression de Cronstadt, mais l’attitude d’autruche qui était la nôtre il y a une dizaine d’années, apparaît aujourd’hui sous son vrai jour de fatalisme optimiste.
Si une condamnation rétroactive des actes des bolcheviks n’aurait guère de portée, il n’en est pas de même en ce qui concerne la condamnation de leur mystique pseudo-scientifique, qui règne encore en souveraine chez les « révolutionnaires » gauchistes actuels. Attaqué au sujet de Cronstadt, Trotsky se défendait en disant que la politique révolutionnaire n’est pas justifiable de la morale, mais de l’histoire. L’ère sanglante et ignoble du stalinisme a révélé le seul contenu de cette divinité creuse : l’histoire « justifie » toujours le vainqueur. Mais la révolution se justifie à elle seule. Les considérations tendant à la « mettre en veilleuse » au profit d’hypothétiques meilleures « chances futures » peuvent bien expliquer le comportement des révolutionnaires d’hier et tout ce qui appartient désormais au passé. Mais on ne peut sans hypocrisie et reniement ré-employer leurs arguments d’alors. La révolution d’octobre se nie définitivement à Cronstadt en 1921. Mais Trotsky, parce qu’il était un bolchevik, ne pouvait identifier le moment où le phénomène contre-révolution s’était démasqué ; il ne pouvait le situer qu’après sa propre disgrâce politique… et peut-être seulement au moment du coup de piolet qui devait mettre fin à ses jours !

CHRONOLOGIE

Début 1921, plusieurs faits témoignent d’un divorce politique entre la population des bords de la Baltique et le parti bolchevik. La seconde conférence des marins communistes (15 février 1921) critique le bureaucratisme et l’incapacité de la section politique de la flotte de la Baltique (Poubalt) et réclame la dissolution de toutes les sections semblables. Aux élections pour le Xe congrès du PC russe, les marins votent contre leurs chefs directs (Trotsky, commissaire du peuple à la guerre ; Raskolnikov, chef de la flotte). Il s’agit d’une crise au cœur de l’ossature essentielle de la survie de la révolution d’Octobre : sa force militaire.[1]

L’agitation ouvrière des ouvriers de Pétrograd, en février, déborde ce cadre « catégoriel » de la réaction des marins et prend, presqu’automatiquement son caractère : politique (contre la bureaucratie) et social (en faveur du « petit commerce »). Dans la capitale aux deux tiers désertée, la population ouvrière, affamée, ne survit que grâce au troc avec les paysans ; pratique semi-tolérée, mais réprimée par périodes par les barrages de la milice. Durant l’été 1920, Zinoviev, qui tient d’une main rude tout l’appareil local, a fait fermer les dernières boutiques.[2] Sur la fin d’un hiver terrible, éclatent des grèves ouvrières à revendications essentiellement alimentaires (ravitaillement, rétablissement du « marché libre » dans un rayon de 50 kilomètres) mais sur lesquelles se greffent des revendications politiques (liberté de parole et de presse, relaxe des détenus politiques). Les grèves se généralisent et, le 28 février, atteignent les chantiers Poutilov. Le gouvernement constitue un Comité de défense (Lachevich, Anzelovich, Avrov) qui crée des brigades de surveillance par quartiers, promulgue l’état de siège en promettant « toute la sévérité du temps de guerre ».[3]

Le 28 février, les marins de Cronstadt, informés par la délégation qu’ils ont envoyée à Petrograd, adoptent la résolution proposée par l’équipage du navire Pétropavlosk, réclament – outre les revendications déjà posées par les ouvriers – la suppression des sections politiques et des « détachements de barrage » (contre le troc) ; l’égalisation des rations alimentaires, le droit d’élever du bétail pour les paysans, la liberté pour la production artisanale qui n’utilise pas de travailleurs salariés.[4] Cette résolution est adoptée le 1er mars par les équipages de la garnison (16.000 hommes) à l’unanimité sauf deux voix ; celles des bolcheviks Kalinine et Kouzmine, le premier regagne Petrograd le jour même.

Le 2 mars, lors de la réunion des délégués, Kouzmine déclare que « les communistes n’abandonneront pas le pouvoir sans bataille ». A la nouvelle de bruits alarmants mais faux, les marins créent un Comité révolutionnaire provisoire, occupent les points stratégiques, emprisonnent Kouzmine et Wassiliev (président du soviet local) qui auraient « tenus des propos menaçants ».[5] Au même moment, Radio-Moscou dénonce l’affaire comme un « complot de la garde blanche », « une mutinerie de l’ancien général Kpzlousky », « organisée par des espions de l’Entente », « dirigée par Paris » et où « le contre-espionnage français est mêlé ».

L’insurrection de Cronstadt devient effective dans les premiers jours de mars. Tandis que le Comité révolutionnaire provisoire de la forteresse formule sa principale revendication politique (pouvoir des Soviets avec représentation sans exclusive de tous les partis ouvriers) et affirme son désir « d’éviter l’effusion de sang », le Comité de défense de Petrograd lance un appel aux cronstadiens : « Vous êtes cernés de tous les côtés… Si vous vous obstinez, on vous tuera comme des perdrix… Désarmez et arrêtez les meneurs criminels et surtout les généraux tsaristes. Celui qui se rendra immédiatement sera pardonné… » (Ida Mett, p.43-44). Un appel identique du Soviet de Petrograd, mais sur un ton plus modéré, déclare que la cause de Cronstadt est sans espoir et qu’il lance aux insurgés « un dernier avertissement ». A ce moment-là, grâce à l’intimidation – et aussi à la distribution de vivres amenées en toute hâte – les grèves ouvrières dans la capitale, faiblissent et s’éteignent. (cf. Ida Mett, p.45)

Le 6 mars, une tentative réciproque de discussion semble s’ébaucher par l’échange de radio entre le Soviet de Petrograd et Cronstadt. Mais Trotsky lance un ultimatum à la forteresse pour une reddition sans condition et avertit les insurgés qu’il se prépare à les réduire par la force.

Le 7 mars, les batteries gouvernementales ouvrent le feu. Celles de la forteresse ripostent ; mais quoique nombreuses elles sont prévues pour la plupart pour faire face à une attaque venant de la mer et ont une portée insuffisante pour atteindre Petrograd ; de plus, elles disposent d’un stock limité de munitions. (Le 3 mars, le Comité révolutionnaire provisoire, renonçant à une contre-offensive sur Oranienbaum, a déclaré placer ses espoirs « non dans la capacité militaire des marins, mais dans la solidarité morale de toute la Russie laborieuse » (cf. Ida Mett, p.49).[6]

Bien que n’ayant militairement aucune chance de l’emporter (la forteresse n’a que 3000 fantassins, elle manque de vivres, de médicaments, etc.). Cronstadt tiendra 15 jours en raison de la démoralisation, elle manque de vivres, de médicaments, etc.) Cronstadt tiendra 15 jours en raison de la démoralisation qui gagne l’Armée rouge au cours de ses premiers assauts : les soldats redoutent les combats sur la glace et désertent par groupes ; des régiments refusent d’attaquer ; des compagnies entières passent du côté des insurgés. Le tribunal militaire doit sévir, tandis que l’encadrement politique est décuplé et que des renforts sont amenés de régions lointaines (Kirghis, Backirs).[7]

Le 16 mars, la réorganisation des corps assaillants est achevée[8].

 Après un bombardement intense (artillerie et aviation) les troupes gouvernementales, malgré de lourdes pertes, dont on ne connaît le chiffre que du côté soviétique (et encore sans tenir compte du chiffre des noyés) prennent l’avantage. Les forts sont enlevés un à un ; la bataille se poursuit dans la ville, maison par maison, sanglante et au corps à corps.
La victoire bolchevik est complète le 18 au soir. Le Soviet de Cronstadt, non réélu, est remplacé par le pouvoir militaire. Un tribunal militaire mobile sanctionne défaillances et désertions. De grandes mutations ont lieu dans la flotte après élimination de 15.000 matelots non spécialistes.

LES TERMES DE LA POST-CRITIQUE

Durant les années qui suivirent, le fait que Cronstadt ne fut jamais analysé en lui-même (c'est-à-dire sous l’angle de ce qu’il révélait de plus que les contradictions et difficultés du pouvoir bolchevik). L’insurrection fut toujours jugée en fonction du rôle révolutionnaire que l’on croyait encore ou non possible de la part de Moscou. L’argument léniniste relève, en fin de compte de la même vision subjective : il fallait abattre Cronstadt parce que le mouvement du prolétariat était du côté de Moscou et que Cronstadt se dressait contre Moscou. Cet argument a été reconduit tel quel durant des dizaines d’années sans souci de dépasser ou approfondir les justifications immédiates données à l’appui de la répression contre Cronstadt.

Or, cet argument doit être considéré sous ses deux aspects idéologiques :
1°) celui des méthodes et concepts qu’au travers de sa forme policière et de son mépris des vérités de fait, la version bolchevik a contribué à implanter dans le mouvement communiste international ;
2°) sa contribution à l’obscurcissement du processus historique général qui a condamné la révolution d’Octobre à n’être qu’une marche forcée du développement du Capital dans l’aire slavo/asiatique.

CRONSTADT COMME « OPERATION MILITAIRE CONTRE-REVOLUTIONNAIRE »

L’argument bolchevik contre Cronstadt est exprimé une fois pour toutes par Trotsky, porte-parole dans cette affaire de tout le comité central du PCR : c’est celui du complot de la garde blanche. Cette affirmation relève d’un autre champ d’appréciation dont il faut dégager les contours, en suivant au préalable Ida Mett dans sa réfutation des arguments que Trotsky avance à l’appui, non pas des actes effectifs de Cronstadt, mais de son « état d’esprit » (cf. Ida Mett pages 75 à 79).

Des accusations concernant la revendication de « privilèges alimentaires » pour la garnison de la forteresse, il a été fait justice à propos du « cahier de doléances » de Cronstadt. La comparaison faite par Trotsky avec les ouvriers de Petrograd, qui « sentirent immédiatement que les rebelles de Cronstadt se trouvaient de l’autre côté de la barricade », ne pèse guère plus lourd, compte tenu de la « fermeté » avec laquelle Zinoviev sût réduire les grèves de la capitale. Trotsky cite enfin un témoignage qui n’est guère plus probant. Au cours de l’hiver 1920-1921, les délégués saisis d’une proposition tendant à demander secours à Cronstadt pour la capitale affamée, auraient répondu qu’il ne fallait rien attendre de la forteresse, investie par une « racaille » qui « spécule sur le drap, le charbon et le pain ». Cette déclaration, citée pour noircir encore le tableau d’une « garnison qui ne faisait rien et vivait sur le passé », est en contradiction flagrante avec l’ultimatum lancé par le Comité de défense, invitant à la reddition un Cronstadt qui « n’a ni pain ni combustible ». De plus, on  a rarement vu les « racailles », « spéculatrices », capables de se battre jusqu’à la mort !

Avec plus de nuance, mais dans le même esprit, Trotsky, dans son « Staline », devait écrire plus tard que la répression de Cronstadt fut une « nécessité tragique », le pouvoir bolchevik ne pouvant céder « simplement parce que quelques anarchistes et socialistes-révolutionnaires douteux patronnaient une poignée de paysans  et de soldat en rébellion ». Comme le souligne Ida Mett, même si l’état d’esprit de Cronstadt était celui qu’indique Trotsky, ce dernier n’en explique aucunement la genèse dans ce bastion qui fut à l’avant-garde de la révolution d’Octobre. Il ne donne pas le moindre élément éclairant la rupture idéologique qui s’y était manifestée à l’égard du parti bolcheviks et dont les élections au VIIIe congrès pan-russe des Soviets et à la seconde conférence communiste de la flotte baltique, n’étaient que des expressions.
Finalement c’est l’opinion de Victor Serge, anarchiste gagné au trotskysme, qui exprime le mieux – mais toujours à partir du postulat : Moscou encore révolutionnaire en 1921 – le jugement longtemps conservé intact sur l’événement : « Cronstadt n’était pas contre révolutionnaire, mais sa victoire eût amené infailliblement la contre révolution ».

LE ROLE DES PARTIS ANTI-BOLCHEVIKS

Toutefois, avant d’en venir à cette portée objective conférée d’autorité à l’insurrection de Cronstadt, un coup d’œil sur l’influence exercée dans la rébellion par les adversaires politiques des bolcheviks n’est pas inutile. Dans la critique d’une conception qui attribue à l’organisation politique une fonction déterminante dans la genèse et l’éclatement des luttes sociales, il n’est pas superflu de souligner qu’une ce qui concerne celle de Cronstadt, le rôle des partis anti-bolcheviks fut pratiquement nul. Si une seule chose, dans l’événement, ressort avec clarté c’est bien la suivante : cette « contre-révolution » ne fut pas le fait des partis contre révolutionnaires !
Le point central de la plateforme idéologique de Cronstadt, c’est la revendication du pouvoir effectif pour le soviet en tant que seule forme concrète dans laquelle l’instauration, suivant le concept marxiste, du prolétariat en classe dominante, ait été tentée. Nous reviendrons sur le côté théorique de la question. En ce qui concerne l’affaire Cronstadt, nous devons souligner pour l’instant la contradiction contenue dans le concept bolchevik. L’argument essentiel du léninisme contre la souveraineté politique du soviet est le suivant : cet organisme peut être influencé par des forces politiques conciliatrices, voire contre révolutionnaires. Pour être valablement appliqué au cas Cronstadt, cet argument aurait dû être vérifié par l’existence réelle de cette force contre révolutionnaire ; ce qui n’a jamais été fait. Les partis anti-bolcheviks ont accueilli favorablement la revendication de Cronstadt dans la mesure où, sous la forme de démocratie ouvrière directe, elle s’accordait, soit avec leur idéologie propre (cas des anarchistes) soit avec leur espoir d’un retour légal sur la scène politique (cas des socialistes-révolutionnaires). Ida Mett fournit des témoignages concordant qui prouvent que cette rencontre des positions de Cronstadt et de celle des partis anti-bolcheviks fut purement spontanée[9]. Ces partis n’étaient nullement implantés dans la forteresse, l’eussent-ils voulu, ni les anarchistes, ni les socialistes-révolutionnaires, n’auraient eu la force et les moyens matériels de diriger le mouvement ; quant aux mencheviks, partisans d’une opposition légale aux bolcheviks, ils refusaient de l’attendre d’une lutte violente contre ces derniers.
La revendication de Cronstadt, en ce qui concerne la possibilité, réclamée par les paysans de la région, d’élever du bétail et d’échanger localement leurs produits, ne suffit pas à donner à cette revendication le caractère « petit bourgeois » qu’y dénoncèrent les bolcheviks ; il ne s’agit que de mesures d’urgence, propres à réduire en partie la famine, et qui ne diffèrent pas substantiellement de celles qui seront adoptées par les bolcheviks eux-mêmes lors de la NEP. On est donc forcé d’admettre qui si Cronstadt a été une « contre-révolution », celle-ci a été le fait de plusieurs dizaines de milliers d’hommes recrutés parmi les forces sociales qui constituèrent l’appui le plus caractéristique de la révolution d’Octobre et de sa lutte contre l’offensive blanche. Si de telles forces, lorsqu’elles se dressent, tant contre les conditions matérielles faites à la population, que contre le climat d’humiliation et de grossièreté sociale dans lequel elles sont imposées à celle-ci, ne sont capables que de constituer « le tremplin, », « la passerelle » de la contre révolution ; et si la politique du parti au pouvoir en ces circonstances est théorisée et sanctifiée en ligne de principe, il faudrait conclure que l’érection du prolétariat en classe dominante, selon le concept marxiste, est une expression creuse qui dissimule la réalisation aveugle de la dynamique spécifique du Capital.

STRATEGIE DE LA CONTRE-REVOLUTION… ET STRATEGIE DU CAPITAL

L’intervention de Lénine sur Cronstadt, au Xe congrès du PC russe, reprendra, dans sa partie polémique et virulente, la thèse du « complot  de la garde blanche » ; mais son argument théorique de fond – appuyés sur les précédents vérifiés en Russie même – est celui de l’incapacité de la « démocratie prolétarienne » à être autre chose qu’une voie de passage de la contre révolution anarchiste, socialiste-révolutionnaire et menchevik, ne pouvaient tenir d’autre rôle et Cronstadt, en leur ouvrant les portes du Soviet, était, consciemment ou non, leur complice.
Il est vrai que, lors de l’apparition de troubles sociaux dans la Russie de 1921, la bourgeoisie de l’Entente jubila et amplifia leur importance par une propagation inouïe de fausses nouvelles. Que le capitalisme occidental, à cette époque, n’ait pas renoncé à l’espoir d’un écroulement interne de la Russie soviétique, cela n’est pas davantage discutable. Il serait d’ailleurs vain de revenir sur les causes effectives qui, dans ces conditions, provoquèrent dans le mouvement ouvrier européen, un ralliement quasi général à la politique répressive des bolcheviks contre Cronstadt[10]. Mais le recul de 50 années, s’il n’a gère éclairci les « circonstances obscures »[11] de l’insurrection de la forteresse baltique, permet toutefois de réduire les considérations de l’époque à leur dimension réelle. Pour ou contre Cronstat, la révolution  a perdu sur les deux tableaux et si l’événement mérite d’être réexaminé c’est par l’effroyable précédent dont il marque l’idéologie léniniste (on verra qu’au stade présent de la caricature groupusculaire, la mégalomanie des révolutionnaires en chambre s’en délecte a posteriori).
Les violentes attaques des discours bolcheviks contre les cronstadiens et leurs partisans réels ou supposés n’invoquent jamais des faits précis quant à ce qu’aurait représenté l’insurrection. Ces attaques citent abondamment, comme pièces à conviction du « complot de la garde blanche », la presse de l’Entente et, particulièrement, les journaux français. C’est-à-dire que la thèse bolchevik puise ses arguments dans les propos affichés par un adversaire déterminé de la Russie soviétique. Cet adversaire, c’est la bourgeoisie européenne, celle qui a misé par anachronisme sur la possibilité de la restauration de la vieille Russie ; celle qui a payé les Wrangel, Dénikine, Koltchak et dont la clairvoyance politique est à la mesure de la cupidité du bas-de-laine ruiné par l’écroulement des fonds russes.
La voie de sauvegarde et développement du Capital, en tant que rapport social en extension, ne coïncide pas toujours avec celui que suit la bourgeoisie en tant que classe dominante. Plus exactement, celle-ci ne découvre « la bonne voie » du Capital, le plus souvent, que lorsque ses adversaires sociaux déclarés la lui fournissent eux-mêmes. En 1921, le Capital européen joue encore la carte de la ruine de la Russie soviétique, alors que c’est au sauvetage de celle-ci – en tant que centre monstrueux de reconstitution du Capital – que ce dernier devra son propre salut. Par contre certaines sphères du capitalisme américain pressentent déjà cette issue possible à la crise latente du capitalisme mondial : Lénine, au Xe congrès du PCR, fera état de la campagne de dénigrement des journaux de l’Entente.
La portée objectivement « contre révolutionnaire » de l’insurrection de Cronstadt ne s’inscrit donc, dans l’hypothèse la plus favorable à l’appréciation léniniste, que dans une seule voie de la contre révolution : celle qui sera bientôt abandonnée par le capitalisme international. Par contre, l’idéologie, les méthodes, le conditionnement des masses sociales, dans la lutte menée par les bolcheviks contre Cronstadt, contribuent à créer les conditions du triomphe total et sans retour de la forme capital en Russie. Lorsque la contre révolution domine, son essence la plus efficace ne doit pas être recherchée à la superficie des luttes politiques et des affrontements entre programmes immédiats, mais dans le contenu de son action sur la psychologie sociale, l’instinct grégaire des individus, les « valeurs » qui s’incrustent, etc. A l’égard de ce conditionnement, brièvement interrompu seulement par le coup de tonnerre d’Octobre et indispensable à la domination totale de la forme capital, Cronstadt représente – sous un jour utopiste, mystifié et même anachronique – l’ultime résistance visible d’une population entière non encore acquise, à cette date, à la domestication capitaliste.
D’une façon fulgurante, un demi-siècle avant la révélation incontestée du contenu économico-social mis en place par la révolution d’Octobre, Cronstadt extériorise, en dépit de toutes ses aberrations, l’incompatibilité absolue entre le fait révolutionnaire et la prétention de l’assujettir, pendant des décennies à une accumulation du Capital.

LE Xe CONGRES DU PC RUSSE

L’étude des débats de ce congrès, qui ne peut être ici qu’esquissée, éclaire l’essentiel de ce que les bolcheviks stalinisés appelleront plus tard le « léninisme ». Il ne s’agit pas tant de la doctrine et des positions de Lénine considérées en soi que du contenu qu’elles dévoilent lorsqu’elles sont confrontées à une situation de recul sur toute la ligne.
Dans les circonstances dramatiques du printemps de 1921, le point de vue de Lénine dépend des solutions effectives qui, selon lui, s’imposent objectivement ou qui, en tout cas, sont les seules qu’il puisse concevoir. Ce point de vue accuse la priorité inconditionnellement accordée au côté technique-administratif de la gestion de l’économie russe dans un contexte précaire que domine un seul impératif étatique et militaire : conserver le pouvoir.
Dès le discours d’ouverture, Lénine stigmatise « le luxe des discussions et débats » que s’est offert le parti bolchevik, donnant ainsi le spectacle de ses dissensions qui encouragent la contre révolution : il faudra donc, ponctue-t-il bannir « la moindre trace d’esprit fractionnel »[12].
Lénine développe son attaque en présentant le rapport d’activité du Comité central. Le PC russe, contraint depuis 1918 à donner priorité aux tâches militaires sur celles de « l’édification économique », outre qu’il a commis une erreur stratégique dans la guerre contre la Pologne, a trop augmenté les rations alimentaires et les distributions de combustible, au lieu de stocker en prévision de périodes plus dures qui sont effectivement survenues avec les mauvaises récoltes et les difficultés dues à la démobilisation[13].
Lénine rattache cette imprévoyance au temps perdu lors de la discussion sur les syndicats, « luxe abusif », « inadmissible », et qui a porté au premier plan « un problème qui, de par les conditions objectives, ne pouvait pas s’y trouver »[14]. Mais cette faute a été utile au parti ; il s’est aperçu de l’existence en son sein d’une « déviation nettement syndicaliste ».
Pour dégager la trame suivie par Lénine dans son rapport, il faut tenir compte de la lutte de tendances qui se dessine dans le mouvement communiste international comme dans le parti russe. Des décalages déroutants et des options contradictoires s’y manifestant entre partisans et adversaires de « solutions » déterminées et qui changent souvent de rôle ou n’adoptent qu’un seul point des thèses appuyées.
Il est visible cependant que l’imprécise « tendance radicale » dans le parti russe comme dans l’IC, sent que la position révolutionnaire perd ses rares points matériels d’appui en Russie au fur et à mesure que le pouvoir bolchevik procède à des concessions, tant à l’égard du petit capitaliste de l’intérieur qu’à l’égard du grand capital international. A la Gauche allemande, qui voit un danger contre révolutionnaire dans la politique de la NEP (cf. Gorter et Pannekoek) fait certainement écho, comme le montrent d’autres interventions de Lénine au Xe congrès, des objections du même ordre qui sont faites à ce dernier au sein même du parti russe.
Or, la ligne de Lénine, c’est la défense acharnée de ces concessions qu’il juge inévitables ; question qu’il n’est pas inutile de discuter ici, mais à propos desquelles il est par contre édifiant, pour démystifier le mythe intérieur du PCI, de souligner les méthodes que Lénine y emploie.

L’APPRECIATION DE L’INSURRECTION DE CRONSTADT

C’est à ce sujet que Lénine déclenche son attaque la plus violente : derrière cette insurrection, dit-il, « on a vu se profiler les généraux blancs que nous connaissons si bien ». Il ne doute pas que Cronstadt, sous peu, sera écrasé ; mais il veut en tirer la leçon. Ce qui nous intéresse ici c’est précisément le contenu de cette leçon, non pas en ce qu’elle comporte de concessions inévitables à faire à la paysannerie et au petit commerce, mais sous l’angle de l’attitude à l’égard du phénomène « gauchiste » ; attitude qui s’imposera dans toute l’Internationale, Gauche italienne comprise. Peu nous importe en fait, la conviction intime que Lénine, du haut de ce qu’il appellera plus tard « une armée de fonctionnaires animés d’un état d’esprit de sous-officiers tsaristes », s’est faite à partir de l’événement Cronstadt. Il ne s’agit pas – nous devons le répéter – de porter un « jugement historique » sur l’homme politique Lénine, mais d’analyser sans ménagement l’idéologie à travers laquelle sa mémoire s’est perpétuée.
Contre ce que le recul historique nous autorise à considérer comme un des ultimes efforts, désespérés et vains, pour sauver la flamme de la révolution d’Octobre, toute l’argumentation de Lénine s’enchaîne et … se déchaîne. A Cronstadt, dit Lénine, « Le pouvoir politique détenu par les bolcheviks est passé à un conglomérat mal défini ou à une association d’éléments disparates (…) Dans le même temps (…) des généraux blancs ont joué un rôle important. C’est pleinement établi (…) Il est absolument évident que c’est l’œuvre de socialistes-révolutionnaires et de gardes blancs de l’étranger, et par ailleurs le mouvement a abouti à une contre révolution petite bourgeoise et à un mouvement petit bourgeois anarchiste »[15].
Pour sauver l’image du PC russe comme parti du prolétariat, Lénine est obligé de taire la grande grève ouvrière de Petrograd, contemporaine de l’insurrection de Cronstadt, qu’a sanctionné l’état de siège de cette ville, et d’imputer cette insurrection aux « éléments sans parti qui ont fait office de marchepied, de gradins, de passerelle pour les gardes blancs »[16].
Au fur et à mesure de ses interventions au Xe congrès, Lénine développe la synthèse suivante entre les événements du moment : seuls des éléments déclassés et des petits bourgeois anarchistes peuvent se dresser contre l’Etat bolchevik et ceux qui, au moment même de cette révolte, avancent un « programme » destiné à redonner la primauté à l’élément prolétarien dans le parti et dans l’Etat, sont « pratiquement » contre révolutionnaires puisqu’ils agissent ainsi alors que se manifeste « un grand mécontentement paysan dans un pays à prédominance rurale » et que la contre révolution s’encourage de toutes les dissensions entre les bolcheviks.
Bien que Lénine se défende du reproche qui lui est fait d’intimider et de terroriser les membres du parti en invoquant des risques de « renversement de la dictature prolétarienne »[17] ; c’est pourtant là son argument central et il s’y réfère avec une violence toujours plus grande : « La bourgeoisie, dit-il dans son rapport du 8 mars, cherche à dresser les paysans contre les ouvriers (…) cherche à dresser contre ces derniers les éléments petits bourgeois sous le couvert de mots d’ordre ouvriers, ce qui entraînera directement la chute du prolétariat, la restauration du capitalisme » (p.192). Il est bien vrai, reconnaît Lénine par ailleurs, que le système soviétique doit se guérir de son bureaucratisme ; pourtant souvent « ceux qui combattent ce mal, veulent, parfois même sincèrement, aider le parti prolétarien, la dictature prolétarienne (…) en réalité (ils) favorisent les éléments anarchistes petits bourgeois qui, au cours de la révolution, se sont révélés à plusieurs reprises comme les ennemis le splus dangereux de la dictature du prolétariat » (p.198-199).

L’OPTION DE BASE DE LA « LIGNE LENINE »

Le 9 mars, Lénine expose la « Conclusion sur le rapport d’activité du C.C. ». Bien que la lecture de ses seuls discours, faute de pouvoir compulser le compte-rendu sténographique du congrès, ne donne qu’une idée incomplète du débat, on retrouve dans les textes reproduits dans le tome 32 de ses œuvres, la trace des principales phases de l’offensive contre « l’Opposition ouvrière » que Lénine mène à l’aide d’un arsenal oratoire varié : raillerie et cynique mise en demeure, menaces pas mêmes voilées et concessions de forme et d’amour-propre. Son intervention, ne ce deuxième jour du congrès, est principalement consacrée à une mise en demeure impérative de ses contradicteurs.
Mais comme Lénine poursuit simultanément deux objectifs qu’il veut lier étroitement, la politique des concessions au capital étranger, la substitution de l’impôt en nature aux réquisitions forcées, le danger contre révolutionnaire des anarchistes petits bourgeois et la « complicité objective » de l’Opposition ouvrière à l’égard de ces derniers, sont généralement évoqués presque conjointement. Il s’agit, en effet, d’une part de faire accepter les compromis avec le capitalisme intérieur et extérieur, d’autre part d’écarter toute opposition, même dérisoire et au seul niveau des structures, qui puisse répercuter dans le parti un quelconque obstacle au parachèvement de l’éviction politique des catégories salariées.
Le second objectif est le plus important sous l’angle qui nous occupe : sa réalisation consacrera, dans l’organisation communiste, l’étouffement de l’ultime et déjà bureaucratique point d’appui de l’élément prolétarien. Nous ne raisonnerons pas à la façon du PCI, c'est-à-dire en termes de plausibilité et de validité des « programmes » qui s’affrontent au Xe congrès ; nous dirons ce que signifie la lutte contre l’Opposition ouvrière par rapport au mouvement international déclenché par la révolution d’Octobre. Dans cette optique, il ne s’agit pas de simplement s’incliner, rétrospectivement, devant les exigences de l’époque, déterminées par la situation de l’économie russe, le changement du rapport des forces interne et externe, etc. Il faut voir que, dans ces circonstances, la « forme parti » joue le rôle exactement opposé à celui que lui assigne la conception classique. Dans le faisceau d’influences de tous ordres qui déterminera tout le cours historique ultérieur, ce rôle est décisif. Il dispose de l’énorme force matérielle de l’Etat russe, de la puissance encore plus considérable que lui confère, aux yeux du prolétariat mondial, le prestige de l’IC ; il démultiplie et dogmatise les décisions d’un centre dirigeant qui, plus nettement encore à partir de ce moment-là, n’obéit qu’à des impératifs politiques et idéologiques strictement déterminés par un processus de reconstruction de rapports sociaux capitalistes.
Toute critique utile de ces événements repose sur l’hypothèse de « coupures » théoriquement possibles dans le cours de reflux du mouvement révolutionnaire ; ruptures qu’il importe moins d’apprécier en fonction d’une représentation rétroactive de leurs conditions de surgissement et de formulation, que d’identifier, dans tout leur aspect caché et/ou souterrain, comme « moments sacrifiés » au cœur du processus historique tel qu’il s’est effectivement vérifié. Sous cet aspect, l’Opposition ouvrière est la manifestation incohérente et auto-mystifiée d’un des ultimes instants de résistance de toute la société russe à l’instauration des conditions de développement du Capital dans l’aire slave.

Il n’est donc pas inutile de souligner au passage ce que révèlent les débats du Xe congrès : hormis ces dérisoires « oppositions » (dites « ouvrières » ou de « centralisme démocratique ») toute l’organisation bolchevik est disposée à suivre Lénine sans même pouvoir discuter sérieusement, en bien ou en mal, ses positions. C’est Lénine lui-même qui le reconnaît : « Si el congrès a si rapidement clôturé ces débats, n’est-ce pas parce qu’on y a dit des choses incroyablement creuses, et que les représentants de « l’ Opposition ouvrière » ont été presque les seuls à intervenir ? »[18].
Lénine, lui, formule une thèse « incroyablement » dense et lourde de conséquences, qu’il lance à la tête de ses contradicteurs pour les provoquer, littéralement, à une option devant cette seule alternative : pour ou contre Cronstadt[19]. Il se défend d’avoir « éludé » cette dernière question, comme Kollontaï le lui a reproché. Effectivement, c’est sur le fait Cronstadt qu’il fonde son attaque en lançant l’accusation à laquelle il s’étonne que l’Opposition ouvrière n’ait pas répondu : « J’affirme qu’il existe un lien entre les idées, les mots d’ordre de cette contre-révolution petite bourgeoise anarchiste et les mots d’ordre de l’Opposition ouvrière »[20].
L’Opposition ouvrière ayant refusé ce terrain, où il est certain, dans le contexte du congrès, qu’elle sera non seulement battue mais honnie et huée, Lénine l’y porte lui-même en citant une brochure de Kollontaï dont il fait la critique. Il conclut par cette charge d’une violence inouïe et qui à ce seul titre mériterait de figurer dans une anthologie du vrai léninisme :

« …Vous êtes venus au congrès du parti avec la brochure de Kollontaï, avec une brochure portant l’inscription « Opposition ouvrière ». Lorsque vous remettiez les dernières épreuves, vous étiez au courant des événements de Cronstadt et de la contre-révolution petite bourgeoise qui montait. Et c’est à ce moment-là que vous venez avec le titre « d’opposition ouvrière ». Vous ne comprenez pas la responsabilité que vous assumez, ni comment vous violez l’unité ! Au nom de quoi ? Nous vous interrogerons, nous vous ferons passer ici un examen (…) S’il y a quelque chose de sain (dans l’Opposition ouvrière, ndr) il est indispensable de consacrer toutes nos forces à séparer les éléments sains des éléments malsains » (Nous devons nous battre contre la bureaucratie) « quiconque pourra nous y aider doit y être invité ; quiconque, sous prétexte de nous aider, nous apporte des brochures semblables, doit être démasqué et écarté »[21].
Les méthodes sont inséparables des buts. Ce but, dans la perspective bolchevik de 1921, c’est un capitalisme moderne, ni « asiatique », ni « colonial », dont la réalisation exige qu’on lâche provisoirement du lest à la petite production et qu’on tienne serrées les rênes du prolétariat industriel. Dans la construction théorique qui revendique tout Lénine, ce « passage obligatoire » par le développement du Capital, justifié d’un point de vue principiel, justifie à son tour les méthodes répressives de Lénine au sein du parti. Or, ces méthodes mêmes constituent des symptômes qui, à cette époque déjà, révèlent une impossibilité qui se vérifiera par la suite : conserver intactes, sur cette base, les conditions politiques et idéologiques indispensables au relais par la révolution européenne, de la révolution russe essoufflée.
Pour abattre l’Opposition ouvrière, Lénine, au Xe congrès, combine la raillerie, la menace et le marchandage « organisationnel » : tous les traits qu’exploitera le stalinisme dans sa tâche d’avilissement social et politique du prolétariat mondial.
Lénine, après avoir ménagé à l’Opposition ouvrière une petite place au Praesidium afin de pouvoir la tourner en dérision – « à présent, ils ne seront plus à plaider, pleurnicher ces ‘pauvres petits’, ces ‘offensés’, ces ‘exilés’ (p.205) – adresse à ses contradicteurs cette sommation :
« …Vous avez parlé plus que quiconque (…) Voyons à présent ce que vous nous offrez au moment où approche un danger que vous reconnaissez vous-mêmes plus grave que Dénikine ! Que nous offrez-vous ? Quelles critiques faites-vous ? Cet examen doit avoir lieu à présent, et je pense qu’il sera définitif. Cela suffit, on ne peut plus jouer ici avec le parti ! Celui qui se présente au congrès avec une telle brochure se joue du congrès. On ne peut mener un tel jeu en un moment pareil, où des centaines de milliers d’éléments démoralisés détruisent, ruinent l’économie ; on ne peut se comporter ainsi avec le parti, on ne peut agir ainsi. Il faut en prendre conscience, il faut y mettre un terme ! » (p.205).

La tactique de Lénine est claire : il s’agit d’enfermer l’Opposition ouvrière dans l’impasse où le PC russe, en tant que gestionnaire et gendarme d’une économie pour le capital, s’est lui-même cloîtré. Discuter le fait Opposition ouvrière en fonction de son « programme », c’est se prendre, aujourd’hui encore à ce jeu, donc se dissimuler la direction dans laquelle les bolcheviks, et derrière eux toute l’IC, sont à cette époque-là irréversiblement engagés.
Le « programme » de l’Opposition ouvrière ne présente aucun intérêt ; mais c’est un cri d’alarme sur la situation du prolétariat russe qui, dépouillé de tout, n’a même pas la possibilité qu’eût tout prolétariat aux heures les plus sombres de son histoire : résister aux instruments les plus immédiats de son oppression sans être combattu par « son » parti.
Lénine, on l’a vu, refuse le titre de « prolétaires » à ceux dont l’Opposition ouvrière veut être le porte-parole. Pour lui, sont seuls en cause des « éléments anarchistes », des « ouvriers sans parti ». Il dénie donc à la force de travail salariée, sous « dictature du prolétariat », le seul lien qui lui reste avec son être immédiat, sa misère humaine. Il dit que les revendications de Cronstadt sont petites bourgeoises. Elles le sont effectivement dans la forme, tandis que celles des paysans le sont aussi dans le contenu. Lénine satisfait celles des paysans et ne connaît que la mitraille en réponse à celle des ouvriers. Lénine extériorise la voix du Capital contre le dernier sursaut violent du prolétariat. Malgré tous les raisonnements les plus subtils, cette tâche demeurera indélébile dans toute théorisation de la ligne bolchevik.

L’Opposition ouvrière c’est l’ultime manifestation, quasi symbolique, du facteur prolétarien subsistant dans le parti bolchevik sous la forme d’une micro-tendance réformiste à l’égard de la bureaucratie d’Etat. Mais comme tel, ce facteur sera expurgé du Xe congrès. « Nous avons passé pas mal de temps à discuter, déclare Lénine, et je dois dire que, maintenant, il vaut beaucoup mieux ‘discuter avec les fusils’ qu’avec les thèses présentées par l’Opposition. Il ne faut plus d’opposition, camarades, ce n’est pas le moment ! (…) Et je crois que le congrès devra arriver à cette conclusion, il devra conclure que l’opposition à présent, est finie, et bien finie ; nous en avons assez des oppositions ! » (p.209)
L’Opposition ouvrière ayant déclaré dans sa brochure qu’elle ne veut ni scissionner, ni faire de concessions, même si elle est battue au congrès, Lénine répond qu’il a l’assurance que « le congrès ne tolèrera pas cela ! ». « Tous ceux qui veulent aider sont les bienvenus, ajoute-t-il, quant à ceux qui disent qu’ils ne feront pas de concessions et sauveront le parti tout en y restant, nous ripostons : oui, mais à condition qu’on vous y laisse ! » (Applaudissements)
Et encore : « Tout ce qu’il y a de sain et de prolétarien dans l’Opposition ouvrière, rejoindra le parti ; les auteurs de discours syndicalistes, les gens ‘animés de la conscience de classe’[22], resteront dehors » (p.210).
Avant de passer aux textes adoptés en conclusion du Xe congrès, il faut relever de quelle façon la lutte de Lénine se fond avec l’esprit du second congrès de l’IC. Lénine évoque la résolution adoptée par ce congrès sur le rôle du parti communiste « et qui unit les ouvriers communistes, les partis communistes du monde entier ». Avec cette résolution les thèses de l’Opposition ouvrière rompent carrément, elles sont donc pour Lénine « un fruit de l’idéologie petite bourgeoise », « du syndicalisme » (p.207). Rejetant le reproche qui est fait aux bolcheviks de séparer le parti de la classe ouvrière, il dit : « Nous cherchons et nous sommes heureux de prendre tout administrateur quelque peu compétent issu de la classe ouvrière (…) car si le parti ne fait pas confiance à la classe ouvrière, ne laisse pas les ouvriers accéder à de hautes fonctions, à bas ce parti… » (p.214).
Ainsi le verbe virulent de Lénine au Xe congrès du PCR traduit finalement, du point de vue de l’idée, sinon de la rigueur de la formulation, le diagnostic de Pannekoek après le second congrès de l’IC : l’alliance contre-révolutionnaire de « deux  bureaucraties ouvrières », celle de l’Est et de l’Ouest. A l’intérieur, les bolcheviks recrutent des ouvriers pour en faire des administrateurs d’un capital encore à développer ; à l’extérieur, ils pactisent avec les partis centristes, c'est-à-dire les pépinières d’administrateurs pour capital surdéveloppé.
Le Xe congrès du PCR s’achèvera sur une liquidation, radicale mais assortie de formes, de l’Opposition ouvrière. « L’avant-projet de résolution sur l’unité du parti » contient des  à la « démocratie » et à « l’esprit d’initiative ». le texte souligne la nécessité de « l’unité, la cohésion, la confiance entre les membres », mais constate l’existence d’un « certain esprit fractionnel », « nuisible et inadmissible » parce que la contre-révolution l’exploite, grâce aux « ennemis qui s’infiltrent dans le parti gouvernemental » (A preuve les événements de Cronstadt : « Les gardes blancs veulent et savent se camoufler en communistes », p.252-253). Pour appuyer sa décision de ne tolérer aucune organisation fractionnelle, le document invoque l’expérience des révolutions précédentes, la contre-révolution ayant toujours appuyé « l’opposition la plus voisine du parti révolutionnaire extrême » (p.254). Le texte demande la dissolution immédiate, sous peine d’exclusion, de l’Opposition ouvrière et la possibilité pour le C.C. de procéder aux exclusions comme sanctions de l’activité fractionnelle.

« L’avant-projet de résolution sur la déviation syndicaliste et anarchiste dans le parti » réclame « la lutte idéologique la plus résolue » contre cette déviation, « l’épuration et l’assainissement du parti » (point 1) ; l’intrusion anarcho-syndicaliste étant provoquée par l’entrée dans le parti « d’anciens mencheviks », d’ouvriers et de paysans non encore formés au communisme et surtout l’influence de l’élément petit bourgeois « exceptionnellement puissant en Russie »[23].
L’Opposition ouvrière, dit l’avant-projet, est l’expression « la plus achevée et la plus nette de cette déviation », avec sa thèse du « congrès des producteurs » en contradiction formelle avec les enseignements du marxisme (point 3, p.257).
Le texte dénonce l’erreur de l’Opposition ouvrière qui, à l’appui de la thèse ci-dessus, invoque le point 5 du programme du parti, selon lequel « les syndicats doivent parvenir à concentrer effectivement entre leurs mains toute la direction de l’économie nationale ». Ce dernier but, selon l’avant-projet, ne peut être atteint avant que les syndicats soviétiques n’englobent la majorité des travailleurs. L’Opposition ouvrière, dit le texte, en lançant le mot d’ordre immédiat « d’un ou plusieurs congrès de producteurs », « élisant » des organismes chargés de diriger l’économie nationale »  élimine « le rôle dirigeant, éducateur et organisateur du parti au sein des syndicats du prolétariat, et de ce dernier dans les masses laborieuses à demi petites bourgeoises ou franchement petites bourgeoises… ». « Au lieu de poursuivre et de corriger le travail pratique déjà amorcé par le pouvoir des Soviets en vue de créer de nouvelles formes d’économie, on aboutit à la destruction anarchiste petite bourgeoise de ce travail, ce qui ne peut qu’amener le triomphe de la contre-révolution petite bourgeoise » (point 4, p.258).
Au point 5 de l’avant-projet, les « idées de l’Opposition ouvrière » sont définies « expression pratique des flottements petits bourgeois et anarchistes » qui « aident pratiquement les ennemis de classe de la révolution prolétarienne » ; il faut donc engager contre ces idées « une lutte idéologique, inlassable, méthodique », reconnaître « que la propagande de ces idées est incompatible avec l’appartenance au PC russe ».
On doit souligner l’intérêt encore actuel des dernières phrases du point 4. Comme Lénine, dont toute la conviction se fonde sur la possibilité d’un développement capitaliste contrôlé par la dictature du parti bolchevik, la Gauche italienne (et de façon encore plus accentuée le PCI) soutient cette thèse par la critique de « programme » du type de celui de l’Opposition ouvrière. Entre ce programme et celui des bolcheviks, il n’y a pourtant pas de différence, quant à l’attitude globale face à la dynamique du capital. Or, c’est précisément contre cette dynamique que se dressent, à Petrograd et à Cronstadt, des catégories sociales aussi « disparates » que l’on veut, mais qui ressentent profondément, par leurs souffrances et leurs humiliations, l’envol définitif des espoirs soulevés par la révolution d’Octobre. Le « travail pratique » des syndicats, tel que l’évoque Lénine, le « rôle éducateur » du pouvoir soviétique auprès des masses semi petites bourgeoises, consiste à les lier dans la discipline du Capital. C’est cela que tait ou ignore Lénine et qu’il dissimule derrière la diatribe contre l’Opposition ouvrière. Celle-ci, de même que tous les autres produits des phénomènes fractionnels dans le parti russe, ne fait que transposer ce conflit en termes d’un impossible réformisme à l’égard du pouvoir et du parti. Mais elle représente aussi l’affirmation involontaire que, sur le plan immédiat on ne peut composer avec le mouvement du capital tout en prétendant sauvegarder la force révolutionnaire du prolétariat, et, sur un plan théorique général, que tout « bout de chemin » commun est impossible entre la destruction du capital et la contribution aux conditions de son développement.

Dans la conclusion de la discussion sur les deux rapports du congrès (sur l’unité du parti et sur la déviation anarcho-syndicaliste) Lénine explique que le point 7 de la résolution sur l’unité ne sera pas publié en formulant l’espoir qu’il n’y aura pas lieu de l’appliquer. Il s’agissait de la faculté laissée au Comité central (à la majorité des deux tiers) de procéder à l’exclusion de tout membre du parti qui ne respecterait pas les thèses du congrès. Chliapnikov ayant fait remarquer que le CC n’avait pas besoin de cette arme pour procéder à l’exclusion, Lénine lui rétorque que, statutairement, le CC n’en a pas le droit. L’ajournement de cette disposition (qui deviendra cependant effective en 1924) fait partie des « consolations » que Lénine consent à l’Opposition ouvrière : promesse de plus large « démocratie interne », invitation aux études théoriques, refus de la démission de Chliapnikov du Praesidium (p.260).

Etant revenu sur le fond de la « déviation » (c'est-à-dire la formule du « congrès de producteurs ») Lénine évoque la nécessité de poser le problème à l’échelle internationale : « La déviation qui nous occupe actuellement est la même que la déviation anarchiste du PC allemand contre laquelle la lutte s’est manifestée nettement au précédent congrès de l’IC » (p.260).
Ainsi se confirme la portée générale de l’offensive menée par le Xe congrès : il s’agit d’une lutte menée également au plan international, d’une bolchevisation du mouvement communiste, plus profonde parce qu’idéologique, que celle qui surviendra officiellement trois ans plus tard.

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[1] Ida Mett « La commune de Cronstadt », ed. Spartacus p.24-26. La réorganisation de l’armée par Trotsky (chefs nommés et non élus ; rétablissement du port de l’épaulette ; « spécialistes » venant des anciens corps tsaristes, etc.) est naturellement pour beaucoup dans la réaction des marins. Parler à ce propos « d’état d’esprit anarchiste » n’apporte guère de lumière. L’action révolutionnaire d’Octobre 17 fut, par la force des choses, confinée au terrain militaire : lutte contre la contre-révolution blanche. En ce domaine, l’insertion de « mesures communistes » est forcément limitée ; celles que Trotsky, pour des raisons d’efficacité offensive de l’armée (cf. son livre « Ma vie »), a abolies constituent le seul point tangible de cette insertion ; donc le seul point immédiat du caractère tangible révolutionnaire d’une guerre.
[2] Une idée des rations alimentaires à Petrograd à cette époque : pain noir 800 grammes par ouvrier et par jour pour l’industrie à feu continu ; 600 grammes pour les troupes de choc ; 200 grammes pour les autres (I.M. p.28).
[3] Arrêté du 24 août, I.M. p.29-30.
[4] Ida Mett, p.30-33.
[5] Ibid p.37.
[6] Ida Mett en voit la preuve dans le fait que Cronstadt n’a pas brisé la glace sur une large étendue autour de ses forts.
[7] L’épisode de Cronstadt reproduit des horreurs dignes du front de Verdun « selon des témoins occulaires », des soldats se disposant à se rendre sont abattus à la mitrailleuse par l’armée rouge avant d’arriver dans la zone de tir » (cf. Ida Mett, p.53).
[8] Des délégués du Xe congrès du PCR, dont Vorochilov, Piatakov, sont venus se battre sous Cronstadt. D’autre part, le Soviet de Petrograd avait fait arrêter comme otages des familles résidant dans cette ville et ayant des parents parmi les soldats et marins de Cronstadt. Le 7 mars, le Comité révolutionnaire provisoire de la forteresse réclame leur remise en liberté, affirmant qu’il refusait, lui, à des représailles réciproques (Ida Mett p.42).
[9] Notamment le fait que le Comité révolutionnaire provisoire déclina l’offre SR de droite émigrée (Tchernov qui proposait « aide », sans précision, à Cronstadt), que les anarchistes de Petrograd qui lancèrent un appel au Comité de défense (bolchevik) de cette ville, l’invitant « à résoudre le différent par vois pacifique », etc.
[10] Ce fut le cas des anarchistes italiens.
[11] Expression de Bordiga.
[12] Œuvres, Tome 32, éditions sociales, Paris 1962.
[13] Ibid p.177-181.
[14] Ibid p.184. la discussion sur les syndicats opposait Lénine à Trotsky (et dans une moindre mesure à Boukharine) quant aux modalités permettant à ces organismes de remplir leur rôle dans « l’édification économique » (L’opinion de Lénine figure dans divers textes qui occupent le premier tiers des œuvres, tome 32). Trotsky envisageait de « secouer », « activer » l’appareil syndical bolchevik afin qu’il participe plus efficacement à l’effort productif ; Lénine craignait qu’il n’en résulte une rupture entre le PC et la classe ouvrière. Au travers des rivalités, souvent âpres, entre instances bureaucratiques de l’ »appareil », il est malaisé de définir les contours du débat. Il apparaît toutefois que la position de Trotsky avait le tort, aux yeux de Lénine, d’être par trop cohérente par rapport à l’objectif productiviste assigné aux[14] Œuvres, Tome 32, éditions sociales, Paris 1962.
 syndicats russes, donc dangereuse pour le mythe du « prolétariat au pouvoir » à travers « son » parti, « son » Etat. Par l’allusion aux « problèmes » que les « conditions objectives » ne permettaient pas de poser, il semble bien que Lénine établisse une liaison entre la conception de Trotsky et celle de « l’Opposition ouvrière » grâce à leur base idéologique commune (et bien qu’ils poursuivent un but tout opposé) ; la promotion à la tête de l’économie, d’organismes de « producteurs ». Ce serait alors une bonne illustration de la casuistique léniniste qui ferait abstraction du fait que, dans l’acception de Trotsky, ces organismes ont pour but d’intensifier l’effort productif, donc l’oppression de la force de travail, tandis que dans l’acception « Opposition ouvrière », il s’agit d’un moyen – d’ailleurs illusoire – de réduire cette oppression.
[15] Ouvrage cité, souligné par nous.
[16] Ibid, souligné par nous, p.191.
[17] Ibid, souligné par nous, p.185.
[18] Ibid, p.200, souligné par nous.
[19] Radek jouera le même jeu contre Goter au troisième congrès de l’IC, voir plus loin.
[20] p.202, souligné par nous.
[21] P.204.
[22] Expression piquée dans la brochure de Kollontaï et revendiquée par les membres de l’Opposition ouvrière.
[23] Lénine ne paraît pas troublé par le fait qu’il assimile plus loin cette déviation à celle du KAPD en Allemagne, pays où «  l’élément dominant » est loin d’être « petit bourgeois ».

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