"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

vendredi 15 mars 2013

DE LA JALOUSIE


« Une femme qui s’irrite change de sexe » (Mme De Puisieux)[1]
Par Georges Anquetil[2]

Car la jalousie est bien le poison du mariage, mais elle est inhérente à la monogamie, elle en est l’aboutissant fatal. Elevée dans l’idée de fidélité maritale, habituée aux gros mots de trahison, de félonie, la femme surtout est sujette à des accès de ce mal dont Diderot disait : « La jalousie est parmi les passions ce qu’est parmi les maladies la rage : la plus inconcevable dans son principe, la plus difficile à guérir, la plus funeste dans ses effets ».
Dans son livre « De l’amour », Etienne Rey l’appelle simplement l’amour-propre de la chair. Au fond ce serait plutôt l’égoïsme stupide de la jument qui ne voudrait point qu’un étalon en couvrit d’autres qu’elle. Marmontel dépeignit assez exactement la jalousie en ces termes :
« Quelle passion ! quelle triste et cruelle passion que celle de la jalousie ! D’abord ressemblant à l’amour dont elle a reçu naissance, elle est douce, tendre et timide ; honteuse d’elle-même, elle se cache et dévore en secret le fiel qui la consume. Mais, tout à coup, elle se dresse et s’élance, comme un serpent gonflé de son propre venin. Et qu’est-ce qui l’irrite ? Bien souvent on l’ignore. D’autant plus redoutable que l’apparence la plus faible et l’indice le plus léger en est le germe le plus imperceptible, et qu’une fois jeté dans l’âme, ce germe empoisonné change tout en poison ».
Bélouino[3] pousse plus loin encore sa pointe sèche, et si sombre qu’il soit, son tableau n’est hélas ! point exagéré :
« Quand une femme est jalouse, rien ne la fléchit, ni la vue des douleurs qu’elle fait endurer, ni les larmes, ni les protestations, ni les prières. A chaque instant, elle épie les actions et les pensées. Le jour, la nuit, à toute heure, elle se forge des chimères, poignards qu’elle aiguise pour les enfoncer ensuite dans le cœur de sa victime qu’elle aime pourtant, qu’elle aime trop. Mais hélas ! la pauvre folle n’a plus sa raison ; peu à peu son esprit et ses facultés se sont fait un besoin d’exaltation factice, qui ne rendent plus possible pour elle la vie commune, calme et tranquille, avec ses joies et ses bonheurs. Il lui faut du drame et de la tempête ; de jour en jour elle s’exaspère, elle devient furieuse, puis quelques fois il arrive un moment où, finissant par ajouter foi aux chimères qu’elle invente, elle croit vraiment criminel celui qui est l’objet de ses fureurs, et alors elle se change en haine, elle maudit et repousse le cœur le plus dévoué, le plus aimant, et cet amour qu’elle craignait tant de perdre, c’est elle qui le tue, sans s’inquiéter des souffrances de celui qui le garde dans son cœur. Parfois la jalousie la pousse au parjure, à la trahison, car elle a ses vengeances aussi absurdes, aussi exagérées que les chimères qu’elle se forge. Une femme exaspérée par cette passion est capable de tout : elle devient infidèle, sans amour, pour se venger des infidélités qu’elle suppose. D’autres fois même, elle ouvre son cœur aux séductions extérieures » .
Du point de vue médical et social, le professeur Auguste Forel (célèbre psychiatre suisse) juge la jalousie avec une sévérité méritée :
« La jalousie est un héritage des animaux et de la barbarie : Voilà ce que je voudrais crier à tous les héros qui, au nom de l’honneur offensé, veulent lui octroyer des droits et même la placer sur un piédestal. Mieux vaut dix fois pour une femme un mari infidèle qu’un mari jaloux. La jalousie transforme le mariage en enfer. Dans les asiles d’aliénés, dans les procès et dans les romans, la jalousie joue un rôle immense, car elle est une des sources les plus fécondes des tragédies et des malheurs de l’existence humaine. Les efforts combinés et persévérants de l’éducation et de la sélection sont nécessaires pour qu’on en arrive à l’éliminer graduellement du cerveau humain. La jalousie de la femme, tout aussi inefficace contre l’infidélité de l’homme, se traduit par des scènes, des piqûres d’aiguilles, des chicanes, de petites tyrannies et toutes sortes de ruses, qui empoisonnent l’existence commune ».
Or je prétends que la jalousie, si déplorable dans ses effets, pourrait parfaitement et rapidement s’évanouir, comme elle avait disparu chez les femmes Mormonnes, quand Jules Rémy[4], qui les visita, il y a quelques années, écrivait ce qu’on lira plus loin, au chapitre consacré à la polygamie chez les Mormons. Non seulement aucune femme ne se plaignait, mais au contraire toutes disaient leur joie et leur bonheur.
C’est pourquoi le Dr Binet-Sanglé[5] (op.cit.) écrit avec sûreté :
« On pourra, sans inconvénient, instituer cette communauté des femmes que Platon recommande dans sa République et suivre, en ce qui concerne les pensionnaires et les  clientes du haras, l’exemple du socialiste John Humphrey Noyes, qui constitua, à Oneida Creeck, dans les Etats-Unis d’Amérique, un mariage groupé de plus de deux cent personnes »[6] (…)
En tout cas, aujourd’hui, non seulement la jalousie empoisonne le bonheur des époux, mais le perfectionnement des armes à feu et la création des revolvers-miniature, véritables joyaux ciselés, qui sont devenus l’accessoire de la garniture du sac de la Parisienne, ont exercé une fâcheuse influence sur la facilité avec laquelle une femme qui a ses nerfs supprime une existence humaine. Et comme l’incompréhensible faiblesse des jurys devant les crimes passionnels fait que les héroïnes de ces drames d’amour ne risquent d’autre sanction que le bénéfice d’une tapageuse publicité avec photographie retouchée en première page des quotidiens à deux millions de tirage, elles n’hésitent pas à assassiner un homme , comme si la guerre ne nous avait point déjà massacré suffisamment de mâles.
L’expérience est là pour attester qu’il n’y a de meurtres semblables ni chez les Mormons, ni chez les peuples qui pratiquent la polygamie.
La femme chez eux, plus intelligente, mieux éduquée, comprend plus sainement l’importance toute relative de l’acte sexuel quand il n’a pas pour but la procréation, mais uniquement l’exercice normal d’une fonction sexuelle. C’est alors qu’il n’est en effet, selon le mot de Chamfort, que le contact de deux épidermes, sans plus.
D’ailleurs, même chez nous, avec de la patience, de la douceur et du raisonnement, l’homme qui le veut arrive, avec une relative facilité, à faire entendre cette vérité à sa femme, preuve de plus de la justesse de la pensée de Mirabeau[7], rappelée au début de cette méditation, que les femmes sont ce que nous les faisons.
Résumons-nous : la monogamie et son inséparable compagne, la jalousie, engendrent des heurts, des dangers et des maux incompatibles avec le calme, l’harmonie et la confiance indispensables à l’amour et au bonheur : nous allons voir qu’elle est génératrice ou responsable de bien d’autres fléaux dont est exempte la polygamie.
A suivre…


[1] Madeleine d'Arsant de Puisieux a écrit de nombreux romans et traités de morale. Amante de Diderot qu’elle avait rencontré en 1745, sa collaboration à quelques-uns de ses textes fit d’abord attribuer ses Conseils à une amie (1749) où elle traite de l’éducation et Les Caractères (1750) à ce dernier. Diderot contesta la paternité du conte L'Oiseau blanc : conte bleu : il ne reconnaissait qu'avoir corrigé l'orthographe du texte de sa maîtresse. On attribue parfois à Madeleine de Puisieux, ou à son mari le texte féministe intitulé La femme n'est pas inférieure à l'homme publié en 1750 et republié l'année suivante sous le titre Le Triomphe des dames. Mais d'autres auteurs envisagent plutôt qu'il ait été rédigé par Mary Wortley Montagu.
[2] Avocat, publiciste bouillant - et brouillon -, directeur du Courrier français à partir de 1914, éditeur de livres à scandale, Georges Anquetil (1888-?) fut un curieux personnage mais malgré tout un révolutionnaire des mœurs bourgeoises. Il dirigea à partir de 1927, une feuille à scandales, La Rumeur, où, comme dans son Satan conduit le bal, indigeste pamphlet, il dénonçait à tour de bras. (On raconte que lorsqu'il dénonçait, il palpait, comme Eugène Merle, célèbre "balance" anarchiste...). Il se présenta aux élections législatives en Guyane sous l'étiquette galmotiste (de Jean Galmot) et se trouva au printemps 1929 à Fleury-Mérogis d'où il écrivait : « On est allé, dans l’odieux, jusqu’à me jeter, en plein hiver glacial, dans une cellule pas chauffée, à tinettes asphyxiantes, alors qu’à la Santé, treize divisions sur dix-sept ont le chauffage et le tout à l’égout. (...) L’instruction est finie. J’offre une grosse caution. Le dossier est vide. Je suis malade. Mais Poincaré, toujours au pouvoir, se venge. O République ! O justice et politique ! ». Il est le probable concepteur d’un projet de loi présenté au parlement pour légaliser la polygamie, à laquelle il consacre un intéressant pamphlet  La Maîtresse légitime (1926) – publié à compte d’auteur et qui devient un véritable best-seller d'époque. Il en vendit plusieurs centaines de milliers d'exemplaires, lui donna une suite avec Jane sous le titre L'Amant légitime qui comme son Satan qui s'acheta à tour de bras.
[3] Il s’agit de l’abbé Léon Bélouino (1824-1890) auteur d’une célèbre oraison funèbre au curé progressiste de La Mennais.
[4] Jules Achille Rémy était un naturaliste et explorateur (1826-1893). Explorateur, il parcourut les îles d’Hawaï et de Sandwich (il y rencontra la reine Elisabeta Kinau, et pendant son séjour il faillit être empoisonné par un indigène fanatique), visita les Canaries, le Brésil, le Chili, la Bolivie, le Pérou, l’Océanie et resta trois ans à Honolulu, où il sut gagner l’amitié du roi Kamehameha III qui essaya de le convaincre de devenir membre de son gouvernement. Là, il fit la rencontre d’un voyageur anglais sir Brenchley, devenu son ami, avec lequel il visita la Californie, le Grand Lac Salé, le pays des mormons (dont il écrivit l’histoire, la religion et les mœurs), puis San Francisco. Il visita l’Amérique du Sud et revint parcourir les États-Unis et le Canada. Dans un autre voyage, il parcourut le Nord de l’Afrique depuis l’Égypte jusqu’au Maroc. En 1863, il visita l'Asie, le Tibet et l’Hindoustan et fit l’ascension de l’Himalaya. Il fut une référence pour Jules Verne dans Les Enfants du capitaine Grant. Ernest Renan dans son Histoire des origines du christianisme ; Volume 2 "Les apôtres" (1866), fait référence à son ouvrage "Voyage au pays des Mormons".

[5] Encore un révolutionnaire des mœurs oublié comme Anquetil lui-même (ombre portée par le cycliste dopé ?) ! Charles Hippolyte Louis Jules Binet, dit Binet-Sanglé, né le 4 juillet 1868 à Clamecy (Nièvre) et mort le 14 novembre 1941 à Nice (Alpes-Maritimes), était un médecin militaire et psychologue français. Il se fit connaître pour son livre sur La Folie de Jésus, qui fit polémique et heurta particulièrement les milieux conservateurs et chrétiens. Scientiste positiviste convaincu, Charles Binet-Sanglé fit de cette œuvre une application de ses théories rationalistes en vertu desquelles tout abandon de sa puissance individuelle à une « croyance » est le symptôme d'une pathologie d'ordre physiologique.
[6] Morris Hillquit, Histoire du socialisme aux Etats-Unis, Stuttgart, Dietz, 1906. John Humphrey Noyes (3 septembre 181113 avril 1886) est un socialiste utopique américain. Il a fondé la communauté d'Oneida en 1848. En 1847, Noyes, qui est marié avec Harriet Holton depuis 1838, est arrêté pour adultère. Plusieurs de ses disciples sont également sous la menace d'une condamnation. Le groupe décide donc de quitter l'État du Vermont pour Oneida, dans l'État de New-York, où Noyes connaît quelques Perfectionnistes. Ils s'installent là-bas et construisent leur premier logement communal en 1848. La communauté d'Oneida a prospéré jusqu'en 1879. Elle a grossi peu à peu pour atteindre plus de 300 membres, avec également des implantations à Brooklyn, Wallingford dans le Connecticut, Newark dans le New Jersey, Cambridge et Putney dans le Vermont. La communauté possède plusieurs industries florissantes. Elle produit par exemple des pièges pour animaux, tisse de la soie et vend des conserves de fruits et légumes. Il développe sa théorie autour du salut de l'homme et de la perfection humaine. Selon lui, le Christianisme est un mensonge puisque les vrais Chrétiens ne sont que ceux qui sont Parfaits et totalement libérés de leurs pêchés. Noyes proclame dès lors qu'il "n'a jamais pêché" et développe son idée de Perfectionnisme, selon laquelle il est possible de se libérer du pêché au quotidien. Sa théorie est centrée autour de l'idée que si l'homme a sa propre volonté, c'est parce que Dieu l'a voulu. Or, si cette volonté indépendante provient de Dieu, celle-ci est donc divine. Noyes considère par conséquent qu'il est impossible à l'Église d'obliger les hommes à obéir à la loi divine, et de les condamner à la damnation dans le cas contraire. Dès lors, leur nouvelle relation avec Dieu supprime leur obligation d'obéissance aux normes morales de la société. Noyes agit alors selon ses intuitions plutôt qu'en prenant en considération toutes les conséquences de ses actions. Le 20 février 1834, il se proclame lui-même Parfait et libéré de tout pêché. Cette déclaration fait scandale à l'université qui le révoque et lui interdit de prêcher. Après son expulsion de Yale, Noyes retourne à Putney dans le Vermont où, malgré sa révocation, il continue de prêcher. Il forme alors une première communauté en 1836 autour de la Putney Bible School, qui devient réellement une organisation communautaire en 1844, pratiquant le mariage complexe, la rétention de l'éjaculation et la recherche de la Perfection.
[7] L’opinion de Mirabeau (citée en page 85) apparaîtra machiste aux féministes bourgeoises simplistes du XXIe siècle, mais elle est non seulement vraie sur lefond (la société est dominée par  les désidératas des hommes) mais aussi sur la forme : « C’est nous qui faisons les femmes telles qu’elles sont : c’est pourquoi elles ne valent rien ». Et bing pour notre gueule ! (JLR)

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