"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

jeudi 14 février 2013

LETTRES INEDITES DE BORDIGA ET DES AUTRES




 Quel intérêt, demandera celui-là ; de publier ces quelques lettres éparses de notre saga de la « Gauche communiste » (à ne pas confondre avec l’ivraie stalinienne) pour des lecteurs lambda qui n’ont ni d’ouïe ni de visu entendu parler de l’étonnant mémorialiste et militant Lucien Laugier, Suzanne Voute, Gaston Davoust, sans compter tous ces djeuns pour qui Bordiga, Damen ou les Chaulieu et autres multiples révisonnistes de la théorie marxiste sont d’illustres inconnus.
Etranges lacunes des historiens de la contre révolution et des intellectuels d’opposition corrompus, l’histoire de la « gauche italienne », puisque c’est bien d’elle qu’il s’agit ici, cette gauche révolutionnaire qui a le mieux résistée au temps qui passe, qui a été capable d’anticipation fabuleuse, reste un mythe ou une caricature. Sous les terribles décombres humains et sociaux de la deuxième boucherie mondiale, la grande confrontation entre tendances révolutionnaires dans l’Europe d’après guerre est figurée en France et en Italie, par le choc entre la tradition (bordiguiste) et la nouveauté moderniste (Socialisme ou Barbarie) ; S ou B n’aura été qu’une comète anarchiste comparé au bordiguisme, et c’est une mixture de S ou B et de parti bordiguien qui surnage après 1968. Nous payons encore les conséquences de cette parasynthèse ratée, tentée par le CCI, fossilisé hélas finalement en secte paranaoïaque comme ses dernières fractions lilliputiennes ou moribondes.
Les quelques lettres internes (dont certaines doivent se trouver dans les deux numéros de la revue électronique Tempus Fugit, disparue) font revivre en chair et en os des militants du communisme pas du tout mystiques. J’ai correspondu avec un certain nombre d’imbéciles ultra-gauches qui signaient leur courrier d’un ronflant « salutations communistes », je me marrais, je publierai un jour leurs insanités et insultes. Pour Bordiga et ses camarades, les courriers se terminent par un classique « cordialement ». Il ne leur était pas venu à l’esprit qu’une poigné de main pouvait être « communiste », « capitaliste » ou « stalinienne ».
Bordiga a affaire à deux sortes de militants dont la démarche transparaît dans leur courrier : d’une part les vrais militants dévoués au combat et au sens de l’organisation comme le postier Laugier (dont jamais éditeur bourgeois ne publiera l’important travail de mémorialiste), mais d’autre part des intellectuels comme Dangeville et Camatte qui cherchent des trouvailles théoriques à creuser « auprès du maître ». Les premiers se battent jusqu’au sans renier leur foi dans le combat du prolétariat, les autres renoncent, leur accord de jeunesse était-il basé sur du sable ?[1]
Contrairement à des clichés malveillants, on n’est pas suiviste ni béni-oui-oui dans la « gauche » des catacombes oubliés des menteurs officiels. Bordiga est discuté comme les autres figures de proue. On découvre les capacités politiques d’une Suzanne Voute, au  caractère pénible mais véritable fondatrice du courant bordiguiste en France et combattante politique jusqu’à son dernier souffle ; et personne pour tresser la biographie de cette longue existence au service de la révolution. Et Piccino, cet étonnant petit bonhomme, véritable ouvrier, estimé de tous, jamais rétif aux problèmes théoriques les plus ardus, qui narrera sa vie et ce qu’il a représenté pour toutes les « fractions » de gauche maximaliste de l’époque ?

Lettre de Chazé/Davoust à Chaulieu, Choisy le 1er décembre 1949
Mon cher Chaulieu,
Je ne sais pas encore ce que vous avez décidé dimanche, et n’ayant pas pu assister à la réunion de votre groupe samedi, je ne sais même pas ce que la camarade Frédérique vous a proposé en ce qui concerne l’ordre du jour des réunions communes. Je t’écris néanmoins pour te faire part de la situation de notre groupe, situation de liquidation qui place votre organisation au centre du regroupement à faire.
Il était probable que la tendance bordiguiste de notre organisation n’aurait pas accepté de se fondre dans une nouvelle organisation de l’avant-garde en France. C’est maintenant une certitude et cette tendance ne participera aux réunions communes que parce qu’elle ne peut s’y refuser, mais avec l’intention bien arrêtée de rester séparée. Il aurait été préférable que cela apparaisse comme un résultat des discussions. Mais, puisque cela devait se faire, il importe peu, au fond, qu’on le sache maintenant.
Lastérade et moi avions envoyé une lettre au parti italien demandant une discussion internationale sur les questions essentielles du programme révolutionnaire. Le groupe était d’accord pour que cette discussion ait lieu mais le CE du parti la repousse. Ce refus est accompagné de tels développements qu’il implique la rupture. Celle-ci sera consommée avant donc que nous discutions avec vous et l’U.O.I.
D’autre part, quelques camarades n’attendent que ces discussions aient lieu pour rompre également avec le courant bordiguiste. Ce sont aussi des léninistes 100% mais qui pourront, je crois, évoluer suffisamment pour que leur appartenance à la nouvelle organisation ne soit pas un boulet pour celle-ci.
Voilà donc où nous en sommes et pourquoi votre responsabilité dans la refonte de l’avant-garde en France, va se trouver accrue.
Toutefois, il ne faudrait pas que cela vous fasse commettre des blagues. Si nous voulons réussir il faut envoyer au diable les préoccupations de boutique. Or je crains qu’avec l’U.O.I. vous vous laissiez entraîner les uns et les autres dans ce genre de bêtises. J’espère vivement me tromper.
Tu sais fort bien comme moi que la question essentielle qui nous différenciera sera celle du rôle du parti. Or, si nous voulons que cette différenciation se fasse dans la clarté, il faut que la question vienne en discussion comme conclusion de nos débats et non au début.
C’est après avoir essayé d’établir les grandes lignes du programme révolutionnaire de l’époque actuelle, autrement dit après avoir étudié le contenu de la révolution prolétarienne tel qu’il pourrait être en fonction de l’évolution du monde et des expériences révolutionnaires passées, que nous pourrons clairement discuter du rôle du parti et de ses tâches.
En somme, il y a deux façons de concevoir nos discussions prochaines. La première, vers laquelle la tendance bordiguiste cherchera à nous entrainer, consistera à discuter de ce qui peut immédiatement nous diviser. Nous aboutirions alors à une confrontation sans aucun fruit qu’une perte de temps, regrettable.
La seconde qui_ consiste au contraire à considérer, dès le départ, que nos discussions seront celles d’un Congrès de fondation de la nouvelle organisation. C’est la bonne, car la maturation des problèmes à résoudre est suffisante. L’ordre du jour qui en découlerait serait donc :
-          Analyse de l’évolution du monde et perspectives,
-          Situation du mouvement révolutionnaire,
-          Programme révolutionnaire (contenu de la révolution prolétarienne dans la phase historique actuelle) ;
-          Parti et organisation de masse – rôle du parti – ses rapports avec les organisations de masse – syndicats, comités de lutte, etc.
-          Tâches du parti et perspectives.
Bien entendu, ne vois-là que des propositions que je te soumets parce que je ne peux pas participer activement aux préparatifs des discussions qui vont s’ouvrir.
J’espère que tu me comprends. Je pense que nos discussions pourraient n’aboutir qu’à constater que nous pouvons créer une nouvelle organisation. Car je crois possible qu’elles devraient avoir pour résultat de donner tout de suite à la nouvelle organisation ses documents de base.
A la prochaine occasion, je te documenterai sur nos discussions avec la tendance de Bordiga, qui, dans le parti italien, semble étouffer toute discussion générale.
A bientôt – salut fraternel aux camarades de ton groupe.
Cordialement,
Davoust

BORDIGA A LUCIEN LAUGIER  juillet 1953 (l’orthographe italianisée et les fautes de frappe sont conservées)
Ing.Amadeo Bordiga
Corso Garibaldi 412                                    Napoli 2 luglio 1953
NAPOLI

Mon cher Lucien,
Bruno t’a peut-être renseigné sur ma proposition d’élaborer una traduction à l’usage des français des trois derniers Filo del Tempo qui contiennent une critique des positions de « Socialisme et Barbarie ». Il ne suffit pas de taduire materiellement mais il faut mieux rédiger tout le texte en clarifiant certains passages, et donner des expressions correspondantes aux frases en argot. C’est pourquoi je pense que tu peux commencer le travail et m’envoyer ce que tu aura écrit en me signalant les endroits dont l’acception doit être perfectionnée. Le textes de la revue aux quels je me réfère par les diverses citations sont dans le Nos I (S.ou B., editoriel) ; I0 :Sur le programme socialiste,et : La direction prolétarienne (Chaulieu et Montal-Chacal), II ; L’expérience prolétarienne. Je pense que tu possèdes une collection de cette anvergure !
Piccino pourra t’aider à comprendre les quelques idiotismes souvent employés dans les Fili pour se mettre dûment à la Hauteur des ces grands théoriciens ! Pour répandre un tel travail on se servira je pense de votre Bulletin, ou on se mettra d’accord sur la voie meilleure.
Je t’envoie des salutations bien cordiales
amadeo

BORDIGA A LUCIEN LAUGIER        Naples 1er décembre 1953
Cher Lucien,
Je te dois des précisions sur la presque rupture de notre liaison depuis un long temps, par manque de loisir entre beaucoup de travail. Je vais essayer une récapitulation.
I.                   On avait dit à Gênes che vous auriez envoyé en Italie votre materiel avant de le publier. D’abord vous ne l’avez pas fait, après nous ne l’avons pas examiné en temps utile.
II.                Lorsque votre Bulletin a été publié des critique ont circulé ; légèrement du côté Paris ou feu Demetrio, plus sérieusement dans les impressions d’Otto de Bruno de Faber.
III.             A Trieste on a parlé de çà : malheureusement la blessure d’Ottorino avait dérangé le programme de travail pour le « vacances » e le dossier France n’a pas été entamé.
IV.             D’après vos communications et les explications qui ont reduit toute la question à quelque malentendus di formulation, j’ai pensé y faire front en globat le chapitre que tu sais dans le fatiguant compte rendu de Trieste, et pensè che la chose soit réglée.
V.                Ta lettre du 5 octobre inséré dans le dossier susdit meritait toutefois une réponse ; et également le materiel Paris Marseille Bruxelles reçu via Bruxelles : on y reviendra.
VI.             La révision de la traduction Otto du capitre répeté, et de votre traduction d’une part de la Batracomiomachie, reste à faire de ma part.
VII.          Je regrette d’apprendre de Bruno qu’aucun de vous ne sera à Florence le 6-7 : on aurait pris en considération le tout dans una réunion spéciale. C’est pourquoi j’ai pensé suppléer au silence trop prolongé par l’actuelle squelette de lettre. On y reviendra.
A toi et aux autres salutations cordiales
Amadeo
Grand merci du livre de Trotsky : il sera rendu.

LETTRE DE BORDIGA AU GROUPE DE MARSEILLE     Naples le 20 septembre 1955
Chers camarades,
J’ai reçu : la lettre di Christian ; la lettre de Lucien, le texte Einstein.
Après une corespondance urgente avec Bruno – qui probablement est en ce moment à Paris pour question di travail mais ne vous verra pas – je suis chargé de vous répondre.
I.                   Réunion à Marseille : en principe la chose est arrêtée, mais la date du II novembre est trop proche. Il faut une préparation plus longue de notre côté pour vous donner le nombre de ceux qui viendront d’Italie, après une nequête interne, et de votre coté pour la logistique. Je pense alors qu’il faut renvoyer au printemps, et en décembre avoir une réunion en Italie comme d’ordinaire. Il s’ensurgit la question du théme. On avait prevu la question de tactique de l’I.C. en Europe en 1919-26 et les différents avec la gauche, ce qui avait un certain intérêt international et allait bien en France. Si nous traitons ce théme en Italie, le prochain sera d’après notre programme d’économie pure, sur le capitalisme actuel d’Amérique (rattaché au théme d’économie pure), le bienêtre, l’automation etc.
Ce théme est peut-être un peu moins convenable chez vous, et une bonne idée pourrait être un exposé général de notre plateforme théorique et politique. Nous soumettons tout cela à votre examen. Donnez-nous votre avis.
II.                Traductions. Toute la série sur les questions russes n’est pas trop longue ? Les séries Dialogato e AntiChaulieu suffisent a donner les premières trois ou quatre issues (fair preceder deux textes continuant en plus ces numeros, et suivre une paire d’articles autonomes, déjà choisis).
La méme observation vaut pour Race et Nation. On pourrait envisager la possibilité de donner les résumés existant, et pour la Russie mes deux derniers fils en ajoutant peut-être les Thèses d’Avril (issue précédente). Pour le moment votre plan serait peu modifié.
A vous tous salutations cordiales
Amadeo
Lucien Laugier au P.C.Int. d’Italie         Marseille le 12 mars 1956
(copies aux groupes de Paris et de Belgique)
Chers camarades,
Voici nos réponses à votre dernière lettre qui, cette fois-ci, vous satisferons, nous l’espérons et clorons le « débat ».
1.      Le retard dans le travail que vous avez constaté ne nous est pas imputable mais découle de difficultés que vous connaissez bien. D’ailleurs les stencils des deux premières « journées » ont été, à ce jour, acheminés et les autres suivront sous peu.
2.      Nous avons toujours accepté l’intégralité du matériel du parti et nous trouvons superflu de spécifier notre accord formel sur tel ou tel texte que vous jugez devoir publier, de même que de donner notre engagement formel à le diffuser et le défendre. Nous répétons que, dans la mesure de nos possibilités matérielles et financières nous sommes à votre disposition pour effectuer les traductions et faire frapper les stencils. Ceci doit être clair et cette question considérée comme liquidée.
3.      Nous n’avons jamais songé à exclure qui que ce soit et nous pensons comme vous que tout camarade qui se déplace fait automatiquement partie du groupe local. Mais il doit, non moins automatiquement en respecter les élémentaires règles de travail et d’organisations de principe et de discipline mais sont la conséquence (que nous avions tout fait pour éviter) de tout un système vicié de conceptions du travail et des rapports qui reste à entièrement réformer. En attendant que cela soit fait nous ne saurions voir s’instaurer dans le groupe de Marseille les méthodes et procédés que nous condamnons chez les autres et admettre que les polémiques que vous avez condamnées de groupe à groupe en fassent leur lieu d’élection. La mesure que nous avons prise, objectivement et sans passion, n’a pas d’autre but que de l’éviter. Soyez-en persuadés, de même que de notre volonté pour régler tous les différents. Notre décision constitue un pis-aller mais elle est parfaitement compatible avec la continuation du travail, par un partage rationnel de la tâche de traduction, et nous permet de sauvegarder le bon climat interne du groupe auquel nous sommes très attaché. Vous ne sauriez nous faire grief de cette préoccupation.

Salutations fraternelles, pour le groupe : Lucien.

BORDIGA A LUCIEN LAUGIER     Naples le 29 juillet 1956

Cher Lucien,
D’accord sur ta lettre :en effet l’erreur a été de trop décentraliser. La prochaine fois il convient de faire tout le travail au même endroit. Les autres groupes qui voudront contribuer le feront bourgeoisement par de l’argent.
Je suis content que les rapports avec Suzanne soient « normalisés ». Il en était temps.
Ne revenons plus sur l’origine des fautes dactylographiques. Christian sera prié de passer ses demi-journées auprès d’une dactylo, peut-être, moins intéressante et plus attentive.
Vous allez recevoir de Milan la circulaire sur la réunion à Cosenza, le 8 et 9 septembre, qui regarde la technique, e le travail sur le théme choisi. J’espère qu’un de vous sera là-bas, et surtout que vous enverrez du matériel utile.
A’bien nous voir, et salutations générales
Amadeo

LETTRE DE BORDIGA du 10 décembre 1956

Caro compagno,
La pressima riunione di studio si terrà a Ravenna il 19-20gennaie 1957, in base aé un programma organizzative che sarà illustrate in successiva circolare. Essa avràcome tema la stesse trattate a Consenza e sviluppate in base ai dati statistici che ci saranne nel frattempo pervenuti, e il cui seguito occuperàaltre riunieni : « L’Economia capitalista in Occidente e il corso storico del sue svelgimento ». Frattante, rifacendoci alla circolare che precedette la riunione di Cosneza, invitiamo i compagni e i gruppi che seno in grade di farle di collaborare al lavaro di ricerca, invi           andeci dati statistici sul tipe di quelli magistralmente sviluppati nel nr.21 di « Programma » sulle Produzione Mondiale di acoisie. Interessane dati relativi a periodi e cicli, possibilmente lunghi, e relativi sia alla produzione nella dinamica del sue sviluppe, sia al cosiddette reddite nazionale e alla sua distribuzione, al commercie estere, alle alternanze di perdiodi du Sviluppe et di perdiodi di crisi, agli investimenti e reinvestimenti ecc., possibilmente risalende alle prime fasi steriche dell’economia capitalistica. E’inutile riciamarvi all’’estrema urgenza di quest’opera di collaborazione :il tempo, infatti, stringe.
Alla riunione saranne dedicate allcune ere anche a problemi organizzativi, resi piu acuti dagli ultimi avvemimenti internazionali.
Cpgliamo l’occasione per sollecitare versamenti in conte giornali e Dialogati, et per avvertirvi che il giornale uscità ancera due volte in dicembre, contraiamente al solite, cicé il 14 e il 21 ; é uno sforza gravese quelle che affrontisme, ma esse é richieste dall’accavallardi di avecnimenti du grande portata di fronte si quali non possiame non prendere chiaramonte e ripetutamente posizione. Ma é una ragione di piu perché i gruppi ci siutiné.
Fraterni saluti
Amadeo

LETTRE DE BORDIGA A SUZANNE ET DANIEL Napoli 23 agosto 1957

(trop long en italien et au-dessus de mes forces)

LETTRE DE CAMATTE A BORDIGA    Marseille 28 décembre 1956

Cher camarade,

Comme je te l’avais dit cet été à Naples, nous serions très heureux d’avoir la traduction de l’article sur Einstein que tu devais superviser. C’est pourquoi je viens te demander si tu as eu le temps de le faire, et dans ce cas de nous envoyer l’article. Ou bien, si tu n’as pas pu, si on peut le publier tout de même dans le Travail de Groupe. Je te demande cela car cet article nous est réclamé par des camarades qui ne lisent pas l’italien et aussi par des sympathisants qui sont dans le même cas. Notre Groupe contient nombre d’étudiants qui s’intéressent d’une manière immédiat à ces questions théoriques – car c’est leur métier. Le problème justement est de les porter sur un plan politique – mais de plus je pense, j’en avais discuté avec toi en 55 à Naples, qu’il faille leur exposer la théorie marxiste de la connaissance humaine, et en particulier la façon dont nous examinons les questions scientifiques. C’est pourquoi justement ce serait bien si tu pouvais donner des compléments, ne serait-ce que sous forme de points à développer.
Toujours sur ce plan théorique, je compte traduire à plus ou moins brève échéance « sorda ad alti messagi la civilità dei quiz ». Pourrons-nous le publier aussi, je t’enverrai d’ailleurs une copie avant.
Puisque je te parle de traduction, je t’indique que le Groupe va publier celle des articles contre « Socialisme ou Barbarie ». Car nous pensons qu’il s’y trouve les bases pour l’étude du mouvement ouvrier français, et de plus l’explication de diverses déviations soit contemporaines soit anciennes, les premières n’étant que des redites, souvent stupides, des secondes.
J’ai suivi le conseil que tu me donnais à Naples l’été dernier d’étudier la formation des divers partis ouvriers français et ceci en liaison avec le développement de la société bourgeoise, donc faire en quelque sorte l’historique, la genèse du capitalisme français en en développant les particularités qui ont pu jouer un rôle sur le mouvement ouvrier… Peux-tu à ce propos me dire comment je dois orienter mes recherches et même m’indiquer les livres sur ces questions (pour l’histoire du mouvement français nous avons acheté le premier tome de la Correspondance Engels-Lafargue).
J’espère que tu pourras me répondre, soit dans le journal, soit d’une autre manière, et que je ne te dérange pas trop dans ton travail.
Salutations fraternelles,ainsi qu’à tous les camarades,
Jacques Camatte.

LETTRE DE SUZANNE VOUTE A PICCINO

Aurillac , jeudi 19 novembre (année illisible)

Cher Piccino,

Comme sans doute tu le sais, j’ai été opérée en août, suis restée presqu’un mois au lit et me voilà maintenant en convalescence dans ma famille, d’où je retournerai maintenant dans quinze jours à Paris. Je ne puis rien encore dire des résultats de l’opération, il faut pour cella attendre : la région opérée restants très sensible, voire douloureuse, pendant au moins six mois, m’a-t-on dit. J’avais beaucoup maigri et ne reprend que lentement, mais j’espère bien que pour le 1er novembre tout sera remis en place et que je pourrai rentrer.
J’ai reçu ces jours-ci de Bruno Zecchini, qui avait été en Belgique, un petit texte, résumé des discussions Bordiga/Ottorino sur la question syndicale, que Otto lui avait donné pour moi et que j’ai retapé. Tu sais que Otto est allé à Naples cet été, avec – dit Bruno – la tête pleine d’idées nouvelles sur l’accumulation du capital, et en tous cas décidé à déterminer Bordiga… à écrire les chapitres qu’il considérait nécessaire d’ajouter au Capital de Marx. Je t’envoie ce résumé qui me semble avoir été rédigé par Bordiga – puisque Otto y est pris à partie – car il donne une idée de ses opinions bien que fort bref. Mais Otto attend, parait-il, de Naples des textes plus détaillés sur les questions soulevées aussi ne vous emballez pas à Marseille pour cette discussion avant qu’ils ne soient arrivés. A Paris nous attendons ceux-ci pour la commencer, à supposer sur le besoin s’en fasse sentir.
Mon opinion sur ce papier, c’est qu’Amédée y a raison sur certains points, mais qu’il n’aborde pas le point crucial, c'est-à-dire les perspectives de développement révolutionnaire en régime de capitalisme totalitaire – et pour cette raison, ne démontre rien sur la question syndicale elle-même. Les points justes, à mon avis, sont :
1°) que le prolétariat n’agit pas – pas plus qu’aucune classe de l’histoire – poussé par des idées, mais par des besoins.
2°) qu’en conséquence l’action du parti ne peut se limiter à une critique et à une propagande d’idées.
3°) qu’il n’existe pas de limite historique aux possibilités de la bourgeoisie d’augmenter les salaires, le capital variable pouvant croître en même temps que l’accumulation du capital constant (mais de façon absolue et non relative comme Marx le faisait observer) sous la pression toutefois de la lutte revendicative (cf. point I de « pour discuter Ottorino »).
La petite histoire du syndicat (« catéchisme ») est très bien mais elle aboutit pratiquement à conclure :
1°) que l’action du parti de classe au sein du syndicat étatisé moderne est impossible ouvertement, et douteuse de façon cachée ;
2°) qu’il se pourrait bien, en conséquence, que le rapport parti/classe se présentât sous des formes nouvelles (cf. le dernier point de « pour discuter Ottorino ») – ce qui n’est pas autrement précisé.

On reste donc dans l’ignorance des perspectives concernant « Le développement des revendications en lutte politique révolutionnaire » et « l’élargissement de l’organisation de la lutte ouvrière jusqu’à la révolution politique » dans les conditions du capitalisme totalitaire.
Il est surprenant, au premier abord, que B. (Bordiga) d’une part admette que le parti de classe ne puisse rien faire dans le syndicat étatisé – et que d’autre part il reproche à Ottorino de penser qu’un « parti révolutionnaire ne peut plus avoir de tâches syndicales ». Il suppose que cela s’explique par le fait que B. considère que le processus d’étatisation n’est pas achevé partout :  c’est en effet l’opinion contraire qu’il relève en premier dans la « thèse décidée d’Ottorino », sans doute pas par hasard, mais parce que la discussion aurait au contraire porté sur ce point. Par ailleurs, quand il demande – in « difficultés » historiques à Otto s’il observe un changement de situation consécutif à la 2ème guerre, c’est avec la perspective claire qu’il devrait répondre : non et que la tactique de 21-22 – juste à l’époque en matière syndicale – le reste aujourd’hui.
Mais, même en admettant cette nuance sur le degré de « totalitarisme » de notre société actuelle, la question resterait posée de l’action syndicale du parti lorsque le totalitarisme sera achevé, ou bien dans le pays où il l’est déjà : Russie – « démocraties populaires » par exemple.
Bordiga croit-il que dans ces conditions peut se vérifier la « situation classique de tournant » qu’il définit dans la note de la p.2 ? Et pourtant, c’est sur une telle perspective seulement que peut se justifier le maintien des anciennes thèses concernant les tâches syndicales du parti.
Dans ces conditions, admettre comme B. contre Otto (Damen) que l’étatisation du syndicat par la classe dominante répond à des raisons politiques de classe et non à une impossibilité d’augmenter désormais les salaires, conduit à reconnaître que les grèves gardent le contenu économique qu’elles ont toujours eu – et qui est limité, on le sait : mais cela ne suffit certes pas à prouver qu’avec le syndicat étatisé subsiste la possibilité d’un développement de l’action revendicative à la lutte politique, ou que dans ce syndicat existe « le champ pour une mobilisation révolutionnaire des masses » (pt 5 du « catéchisme ») ce qui, en dernier lieu, est pourtant la seule chose qui nous intéresse.
Cette constatation – qui me semble indubitable si l’on considère tant les réalisations de l’hitlérisme, que du stalinisme et du travaillisme, on ne saurait dire qu’elles ont été = 0, même du point de vue limité des améliorations immédiates – conduit à reconnaître et la possibilité d’un réformisme dans la période actuelle – et le caractère nécessairement étatique de ce réformisme – autrefois plus ou moins dans l’opposition. Certainement c’est là plus conforme à la réalité que les affirmations sans nuance d’Ottorino (qui ici se rencontre avec Chaulieu) mais cela ne nous mène à rien sur la question posée par Ottorino et rappelée dans les premières lignes du texte.
J’attend donc les documents complémentaires promis, pensant d’ailleurs qu’ils ne combleront pas substantiellement la lacune, car c’est la perspective du bouleversement du rapport de forces actuel qui nous manque et, je crois, de façon inévitable, parce que nous ne faisons qu’entrer dans une phase nouvelle de l’évolution sociale et du mouvement ouvrier.
Daniel, en m’écrivant, m’a dit que tu voudrais voir ton fils aller à Paris. Il dit qu’il lui cherchera du travail, mais que tous les camarades devront s’y mettre pour avoir une chance de résultats. Par ailleurs, il disait qu’il ne se sentait guère de force à le guider alors que c’est toute une ambiance sociale qui fait pression sur un jeune garçon comme ton fils pour lui imprimer son comportement. C’est évident qu’il ne faut pas attendre de miracles, mais ce qui pourra être fait, je suis sûre que les camarades feront tout leur possible pour y arriver.
Si tu as un moment, envoie-moi un mot pour me donner de tes nouvelles, personnelles et politiques. Je vais écrire tout de suite à Lucien, qui a envoyé une lettre à Paris à laquelle je suis chargée de répondre. J’aurais aussi bien pu le faire dans celle-ci, mais tu connais sa susceptibilité et je m’exécute. J’ai préféré t’envoyer le résumé de la discussion de nos deux groupes directement, car ainsi tu pourras décider toi-même s’il vous faut le discuter tout de suite ou attendre des textes plus précis et substantiels.
Je te salue amicalement en te souhaitant « le core megliori ». Bonjour à Tasca, qui j’espère va lire

Suzanne

Mon adresse : S.Voute, Lycée E.Duclaux, Aurillac (Cantal)



[1] La renonciation au combat de Camatte a tout de celle du traître, mais ne sommes-nous pas tous devenus des traîtres après avoir quitté ou fui l’orga ?. Qu’espère-t-il désormais ? Nul ne sait. Il y a quelques années, il avait écrit ceci à un mien ami : « J’ai reçu le livre de Jean-Louis Roche, Précis de communisation, Ed du pavé, et je t’en remercie,. Je suis allé visiter le site internet et ainsi, j’ai appris que Pierre Hempel est un pseudonyme. J’avoue que je ne comprends pas ce que vise, ce que signifie : 1.Le prolétaire universel, 2. Comment se manifeste-t-il ? 3. Comment la révolution à venir « s’actualisera » à partir de vécus actuels. Je sens quelqu’un de facétieux, à qui on le fait pas, d’une grande violence verbale, d’un mépris mais qui a une certaine amplitude et affirme des choses intéressantes. Ainsi, en ce qui concerne l’anti-travail, l’anti-consommation, tous slogans terriblement superficiels de gens qui se sont « sauvés » dans l’autonomisation. Je dois dire que j’ai à maintes reprises ri de façon quasi voluptueuse à la suite de certaines de ses formules même si je ne partageais pas la charge qu’elles véhiculaient. Sa thèse explicative de ce qu’il considère les divagations de ceux dont il s’occupe c’est la déception. Ainsi il dit que je suis un déçu de la révolution. Je n’ai eu aucune déception, mais des difficultés à opérer en constatant la fin du procès révolution, et la nécessité de quitter ce monde. Je n’ai pas connu la déception même si j’ai accusé le coup de me retrouver qu’avec un nombre réduit de camarades, parce que je sentais qu’il y avait le possible d’une autre dynamique que je pense avoir trouvé et avoir contribué à mettre en branle. Il me charge énormément quand il dit « il figure l’archétype de l’intellectuel inconstant et sans conviction de fond, dégoûté de la vie urbaine ». En outre il essaye de me faire endosser la communisation ! Mais je m’ouvre à son dire afin de percevoir son propre cheminement ».
Gilles Dauvé me félicite pour sa part  pour mes deux ouvrages « La réaction fasciste » et « L’ombre du nazisme sur le siècle », dans un courrier de novembre 1999 : « Je viens de finir « La Réaction fasciste » et renonce bien sûr à t’expliquer en quoi je ne suis pas anarchiste, moderniste, petit-bourgeois, etc. Un point de fait cependant. Contrairement à Pierre Guillaume et à la Guerre Sociale, je n’ai jamais défendu Faurrisson ni soutenu l’inexistence des chambres à gaz. Moi-même et ceux qui ont fait ensuite La banquise, avons d’ailleurs rompu avec Pierre G. et la G.S. à ce sujet. Pendant que j’y suis, ajoutons que « Le fichisme ne passera pas » vaut autocritique de ma défense en 96 (une participation au recueil alors publié par Reflex). Cela dit je trouve ton livre intéressant et bienvenu. Cordialement, Gilles.

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