"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mardi 20 novembre 2012

PETIT TOUTOU DU CAPITAL




 La venue de la diva à la bourre :
Le conférencier sur « les révolutions arabes » saura vous parler de la renaissance arabe du XIXe siècle ou de ses amis politiques de l’opposition syrienne mieux que retrouver son chemin dans le RER et le métro. Il fallut envoyer un spectateur le chercher à Denfert-Rochereau pour animer cette soirée de « L’Université populaire » d’Arcueil qui invite régulièrement des sommités nullités comme Marcel Gauchet.
Il est depuis 2006 professeur à Sciences Po Paris, où il enseigne en français, en anglais, en espagnol ou en arabe. Il a publié en France comme à l'étranger de nombreux articles sur le monde arabo-musulman. Ses livres ou ses analyses ont été diffusés dans une douzaine de langues. Ses travaux sur Al-Qaida ou le millénarisme insistent sur la rupture entre cet extrémisme contemporain et la tradition islamique.Il voit dans la "Révolution arabe" en cours depuis l'hiver 2010-2011 le début d'une vague historique de longue durée, une "seconde renaissance arabe" qui s'inscrit dans le prolongement de la Nahda du XIXe siècle.
Il a par ailleurs publié deux essais biographiques sur des musiciens contemporains, l'un consacré à Jimi Hendrix ("Le Gaucher magnifique"), l'autre à Camaron de la Isla ("La Révolution du flamenco"). Il a contribué au scénario d'un roman graphique, dessiné par David B. et consacré aux relations des États-Unis avec le Moyen-Orient. Enfin, il a écrit les paroles d'une chanson de Zebda sur la bande de Gaza. Ils se sont rencontrés en Syrie en 1998 sous le régime d'Hafez el-Assad où Zebda y donnait des concerts à Damas et Alep, et où Filiu était diplomate.
Le dit « spécialiste » de l'Islam contemporain. Professeur des universités à Sciences Po Paris, il y enseigne au sein de l'École des affaires internationales, après avoir été professeur invité aux États-Unis à l'université Columbia et à l'université de Georgetown. Conseiller des Affaires étrangères, il a été en poste en Jordanie, en Syrie et en Tunisie, ainsi qu'aux États-Unis. Il a aussi été membre des cabinets du Ministre de l'Intérieur Pierre Joxe (1990-91), du même ministre à la Défense (1991-93) et du Premier Ministre Lionel Jospin (2000-2002). Il a été couvert d'éloges récemment par le président du Sénat, Jean-Pierre Bel et a posé avec lui pour la photo de presse. Un véritable révolutionnaire en somme.

Un tel CV de Jean-Pierre Filiu a de quoi vous annoncer comme une vedette incontestable. En effet il arrive avec une bourre considérable mais telle Madonna se fait applaudir tout de même par un public déjà servile et voyeur de la future prestation de la diva. Il précise en guise d’excuse qu’il revient d’une réunion de solidarité avec la « révolution syrienne ».
Je ne venais point assister à cette conférence pour reluquer une telle diva ni lui porter la contradiction, car, de toute manière vu ses états de service et ses billevesées historiques il ne fait pas le poids face aux analyses du camp prolétarien maximaliste. Comme je l’avais annoncé je venais croyant possible une confrontation avec des islamistes, vu la proximité de leur repaire à Bagneux ou en tout cas la gauche islamo-gauchiste. Que nenni, la salle archi-comble comprenait une bonne centaine de personnes de deux catégories extrêmes de la population, têtes chenues de profs retraités + leurs collègues encore valides, et leurs étudiants. Point non plus de révolutionnaires maximalistes parisiens alors que je les avais prévenus. A cette heure dinatoire les prolétaires d’Arcueil étaient, eux, devant Koh Lanta.
La diva entreprit donc sa prestation sur les dites « révolutions arabes » pendant plus d’une heure et demi, s’affichant décontract, sans notes, parsemant son discours d’anecdotes qu’il pensait marrantes mais ne déclenchant que quelques sourires compatissants. J’en venais même à penser que la salle puisse ne pas être moutonnière ni fanatique face au blaireau de sciences-Po. Je me trompais. Donc pas d’ex-colonisés ni d’arabes salafistes ni de trotskien déguisé, mais cette mouvance intellectuelle bien nourrie, en partie peuplée de vieux grigous staliniens mélenchonisés de la banlieue sud de Paris.
Je m’étais renseigné sur le gus conférencier. Ce commis d’Etat est à peu près partout mis sur estrade dans la presse, dans Rue 89 comme sur Oumma.com. Ses analyses délirantes y sont référencées comme celles du « spécialiste ». Tout ce qu’il déclare révèle surtout le radical… conformiste. Le voici à nouveau ambassadeur mais de la théorie fumiste d’un monde arabe « en révolution » qui lui permet de faire fructifier son petit commerce littéraire aux marges des intellectuels islamistes d’ autant qu’il y a du Tariq Ramadan en lui, du moins dans son discours sans méthode et compilatoire. C’est le cas de son ouvrage sur l’histoire de Gaza où il accumule une quantité considérable d’informations successives sur la longue crucifixion et persécution des Palestiniens, sans jamais développer une argumentation historique et surtout sans s’élever au-dessus du local et du partiel.
Pendant près de deux heures il faut se fader ce discours désormais connu dans le milieu germanopratin et élyséen. En gros, le monde entier assiste à des « révolutions arabes » sur le long terme – ne confondez pas avec les bordiguistes qui assurent que c’est le 1848 arabe – un « temps long » d’à peu près deux siècles où « indépendamment » du monde occidental les arabes (qui ne sont pas que des révoltés) tracent et traceront leur chemin vers la modernité. On ne peut plus contrôler les peuples assure la diva. Contrairement aux visions simplistes véhiculées en Occident l’alternative n’est pas entre dictature et islamisme. On exagère en France la capacité de contrôle des islamistes. Electoralement les islamistes sont partout en régression. En Tunisie un député salafiste qui, en cession plénière du Parlement avait appelé à faire la prière, s’est entendu répondre « ta gueule » et a été prié de sortir prier dehors. Les réseaux sociaux n’ont pas été le facteur principal de la révolte mais ce sont les liens traditionnels dans la population qui ont permis l’extension de la « révolution ». En tout cas c’est une révolution de la « jeunesse » - « une classe cosmopolite de diplômés » (ce sera bien la première fois qu’il utilisera le mot classe, vidé de son sens) - des jeunes qui étouffent parce qu’ils ne trouvent pas de débouchés. La diva en vient enfin à son gadget explicatif et autarcique de ce qu’il récuse dans la dénomination de printemps arabe (pour mieux nier l’hiver islamique…) : le long mouvement en cours n’est que le prolongement de la « Nahda » renaissance arabe du XIXe siècle, où pourtant l’imprimerie arabe se développe seulement quatre siècles après Gutenberg. Le régime dictatorial a été balayé, mieux le régime est tombé de lui-même. Près de deux ans après rien n’est réglé, il n’y a pas d’hiver islamiste. Les peuples font leur histoire. Cette longue révolution en gestation a été symboliquement patronnée par le premier peuple (le tunisien) qui a imprimé sa marque à la « révolution » : la capacité à exercer le droit démocratique ! L’ex-ambassadeur bourgeois devenu traficant d’histoire, esquisse une moue finale : bien sûr tout n’est pas rose mais les nationalistes n’ont pas à copier les nationalistes européens.

Lorsque vient le tour des questions, la proviseure donne la parole en primeur aux jeunes étudiants avec portable sur les genoux. A ma grande surprise ils vont à l’essentiel contre le discours de la diva diplomatico-islamiste. Le premier jeune tape dans le mille : « Pouvez-vous nous dire les rapports des grandes puissance et en particulier des Etats-Unis avec la « révolution arabe » ? ». Je fais applaudir cette intervention. La diva grimace. Un autre intervient longuement mais reste assez inaudible bien qu’on comprenne qu’il va dans le même sens que le précédent. Un jeune noir fait ensuite une intervention très intéressante : « Vous avez été ambassadeur en Syrie… Comment expliquez-vous que l’Arabie Saoudite et les petits Etats du Golfe se mêlent de plus en plus de la politique intérieure syrienne. Ils financent en particulier l’Armée syrienne libre, ils paient les salaires et fournissent des armes via la Turquie, l’Irak ou le Liban. Les Etats-Unis font de plus en plus savoir qu’ils songent à une intervention en Syrie. L’avenir des Syriens n’est donc plus entre leurs mains mais va dépendre de ce que ces puissances étrangères, qui ont de plus en plus d’influence sur l’opposition, jugeront bon pour la Syrie ».
Un élégant intellectuel arabe émet des doutes lui aussi sur la « révolution syrienne » : « Selon plusieurs services de renseignements, l’opposition syrienne serait infiltrée par Al-Qaïda, quel est votre commentaire ? ».
J’observe que pendant le déroulé des questions la diva affiche une moue méprisante. A l’évidence comme partout ailleurs où il va exhiber sa science infuse il doit confronter le même type de remarques pertinentes contre ses contes arabes à dormir debout.
Il a convenu avec les organisateurs de « l’Université populaire » de répondre « globalement » aux questions grâce au « brainstorming ». Cette technique de réponse aux questions groupées s’apparente au remue-méninges de l’animateur inculte de base en entreprise, méthode soupçonnée d'inciter non à la clarté mais au consensus et donc au conformisme. Le boss ou le politicien qui laisse poser les questions à la queue leu leu peut ainsi se passer de répondre aux questions gênantes en ne répondant qu’à deux ou trois prises arbitrairement dans le tas mais uniquement parce qu’elles servent à appuyer le discours de l’impétrant voyageur de commerce.
La diva rejette d’un revers noble de la main l’ensemble des questions et remarques en laissant entendre qu’elles sont d’une banalité d’un niveau provincial. Ces histoires de complot de la CIA et du Mossad sont passées de mode. Les peuples font leur histoire. À franchement parler, la théorie du complot occidental sert parfaitement les intérêts du régime Assad, du fait de son extraversion internationale. La révolution se résumerait, comme le répète la propagande de Damas, à « la main de l’étranger ». Certains en sont sincèrement convaincus, en Syrie mais aussi en Iran et en Russie. Au-delà des intérêts des uns et des autres, je vois dans cette démarche une erreur fondamentale : elle privilégie l’idéologie au lieu d’analyser les mouvements révolutionnaires arabes pour ce qu’ils sont ; elle projette sur eux des catégories qu’ils ont dépassées. Faire de ce qui se passe en Syrie le énième épisode d’une guerre froide disparue voici plus de vingt ans n’a pas de sens. Il est néanmoins indéniable que les Saoudiens ou les Qataris interviennent dans les conflits. Est-ce pour – en Syrie comme ailleurs – endiguer ou détourner le processus révolutionnaire ? Près de deux ans après le déclenchement du processus révolutionnaire, chacun a pris ses marques. Les régimes saoudien et qatari, tous deux obsédés par leur stabilité intérieure, se disputent le magistère dans l’islam politique : le premier mise sur les salafistes, et le second sur les Frères musulmans. Et le Qatar a pris de l’avance… C’est pourquoi l’Arabie saoudite – ou plutôt des Saoudiens – s’investissent beaucoup en Syrie. Mais quand vous parlez, sur le terrain, aux gens qui manifestent ou se battent, ils vous disent ne pas avoir vu grand-chose de l’argent et encore moins des armes censés arriver en masse. Réduire la révolution syrienne à cette « aide » étrangère, c’est ajouter l’insulte à l’outrage. Les peuples font leur histoire. Il faut être capable de constater ce qui se passe dans la révolution arabe. Il y a d’ailleurs de nombreuses luttes sociales et grèves en Tunisie. Infiltrée la révolution arabe c’est beaucoup dire. Mais il est clair que si un Etat s’effondre et qu’une opposition se forme, les islamistes radicaux seront là. De là à dire qu’ils sont liés à Al-Qaïda n’est pas sérieux. Mais les islamistes radicaux exploitent sans nul doute l’instabilité à leurs fins. Partout j’ai vu surtout la débandade. La dynamique dans les pays arabe ne rentre dans aucune catégorie.
L’animatrice proviseure, à l’évidence, voulait éviter mon entrée dans ce faux débat, vu que, depuis le début mes grimaces et haussements d’épaule m’avaient sans doute faire repérer comme opposant hypocondriaque. Elle m’apporte enfin le micro, sinon gare à moi.
Difficile de retrouver mes marques après un tel tourbillon du "spécialiste" pour enfumer les questions et enjeux posés par les événements du Croissant arabe. Je m’étais résolu à développer brièvement trois points : l’absence de révolution, la duperie démocratique avec le contrôle US sur les évènements et l’absence de solution dans les pays arabes sous égide nationaliste et islamiste. Je commence donc par interroger : « … Je suis très inquiet concernant l’utilisation du mot révolution aussi fréquemment que le mot prostitution. Je suis inquiet pour la compréhension de l’histoire par les jeunes étudiants ici présents avec la notion de révolution conjuguée à toutes les sauces fleuries : révolution des œillets, révolution orange, révolution de jasmin… prenez garde jeunes gens lorsque l’on vous présente la révolution avec des fleurs. C’est comme la fleur au bout du fusil en 1914. Une révolution ce n’est pas pacifiste ni « démocratique », c’est sanglant. Une vraie révolution renverse l’Etat et les institutions établies. Ce n’est pas le cas dans les dites « transitions arabes ». Deux révolutions méritent ce nom : 1789 et 1917. Ce monsieur Filiu est un bien étrange historien qui nous propose de jouer aux échecs sans la dame et sans le roi. Il n’est pas besoin d’aller chercher dans la renaissance arabe du XIXe siècle les raisons de l’explosion ni dans les réseaux sociaux. C’est la crise économique qui a poussé tant de jeunes à se sacrifier, s’immoler. Le capitalisme s’est développé de façon inégale…
-          Non ! crie un papy qui s’est levé pour m’arracher le micro.  Le capitalisme ne s’est pas développé de façon inégale ? J’en ai trop dit ? Je ne peux pas continuer ?
Je repousse sans ménagements le vieux sur sa chaise. La salle fait : « Oooooooh ». Me voilà réduit à l’état du forcené de service. J’aperçois la proviseure qui répète depuis plusieurs fois : posez votre question ! Personne n’ose m’approcher car je parais baraqué et j’ai l’air méchant quand on me réduit au rôle de simple questionneur comme aux cercles Léon T de LO. Décontenancé par tout ce brouhaha et ces cris de bestiaux soumis, je ne peux reprendre le fil de mon raisonnement, mais je parviens à en récupérer un bout : « vous imaginez qu’en Egypte où tant de gens se sont fait tuer l’armée a changé ? Vous pouvez croire, assemblée de bobos, que le « peuple a fait sa révolution » quand le pouvoir n’a pas changé de main, quand sur le fond il s’est agi d’un règlement de compte où l’armée, privée de le rente pétrolière (erreur je me suis trompé je voulais dire rente américaine), a viré le clan Moubarak et a maintenu l’Etat… Vous les bobos vous n’aimez jamais tant que gloser sur l’écologie, les arabes, l’antiracisme et le mariage des pédés, surtout éviter de parler des classes sociales car c’est pas bien… Drôle de "spécialiste", comme tous les fameux spécialistes de l'économie capitaliste, ce mossieur s’est planté avec toutes ses prévisions « démocratiques », il raisonne sur les ghettos nationalistes arabes comme s’ils étaient coupés du monde…et avaient leur dynamique propre ». On me coupe. On me crie dessus. Je bafouille, bouche asséchée. Je hurle : « mais c’est la même armée qui continue à tirer sur les prolétaires arabes ! Et l’oppression de la femme… ». J’ai  encore la force de m’insurger : « C’est quoi l’apologie de la démocratie de M. Filiu ? Elle n’existe nulle part la vraie démocratie ! On vient de voir aux Etats Unis une élection basée sur  un code électoral oligarchique du 18ème siècle, les élections basées sur le pognon on a vu à quoi elles conduisent dans les pays arabes, et celles des Sarkozy et Hollande c’est votre choix « démocratique » ? ». Le brouhaha a raison finalement de mon raisonnement mais j’ai la ressource de poser la question (gardée dans ma poche comme encas) à laquelle Filiu le diplomate contrit ne pourra pas répondre : « Est-ce que le monsieur à la table peut nous expliquer ce qu’il fait dans le comité de ladite opposition « révolutionnaire syrienne », qui la finance et s’il y a BHL avec lui et monsieur Hollande ? ».
Je refile le micro à la proviseure et je m’assieds. La dame commence alors ma punition : « Nous venons de voir là une illustration d’un comportement parfaitement anti-démocratique… ». Je coupe : « allez lâchez-moi la grappe et répondez ». « Bouh quel langage », fait la dame en se repliant dans sa coquille. Vous comprenez, madame, pourquoi votre fille, enseignante autoritaire, est muette.
La diva, contrariée, boude mais éructe qu’il n’a jamais entendu pareilles horreurs… Incontinent, je réplique qu’en matière d’horreur il est meilleur que moi quand il va déclarer sur le site gauchiste Rue 89 qu’une monarchie comme celle du Maroc, « basée sur trois siècles d’histoire et de pouvoir, est de toutes les façons beaucoup plus légitime qu’une dictature de type baasiste arrivée dans les années 60 avec des justifications artificielles ».
Filiu : « Des types comme çà j’en ai un par an ».
Moi : « des mecs comme toi j’en vois des milliers chaque soir devant leur TV ».
Filiu : « Non je ne vais pas répondre à ce type ». Na !
Moi : « je ne vous ai pas posé de question ». Brouhaha.
Inutile d’insister et à l’échange d’invectives il n’aurait pas le dernier mot avec un « type » comme moi. Je me lève, et, comme depuis l’allée centrale il faut repasser devant la tribune, j’en profite pour asséner en passant un coup de poing sur la table du conférencier diva : « Continue pauvre toto à enseigner tes inepties aux enfants des bourgeois à sciences Po ! ». Et la phrase suivante glisse naturellement de ma bouche, suave, concluante et jolie comme un au-revoir élégant, comme çà c'est sorti sans forcer, sans compression mentale superflue : « Petit toutou du Capital » !
Je sors de la salle sous le regard courroucé du public de vieillards et de jeunes bobos. J’entends soudain un pas de course derrière moi. Un bobo qui vient me régler mon compte ou un stalinien avec son déambulatoire ? La jeune et jolie étudiante essoufflée qui pile devant moi me fait cette déclaration : « Merci monsieur pour votre intervention parce que tous ces gens dans cette salle ils sont tous… ».
Je me pâme devant la demoiselle et m’en retourne guilleret vers mes pénates. La vie est belle n’est-ce pas ? Même s’il n’y a aucune réunion politique ni universitaire où pouvoir réellement s’exprimer car la démocratie bourgeoise n’autorise que les questions, même sans réponse.
Bilan : nul, coup d’épée dans l’eau. Inutile d’aller cautionner les réunions de bobos en banlieue. Je m’en fiche, ne représentant aucun parti ni ne prétendant parler au nom de la classe ouvrière, mais pas complètement, car il existe parmi la jeunesse « déclassée » et plus aussi arrogante que les étudiants des eighties des lueurs d’intelligence de ce monde qu’il faut renverser.  De plus, quelques « vieux con » sont encore prêts à les aider à se frayer la bonne voie, quitte à faire scandale !
Après mon départ, le "toutou du capital" a au moins reconnu qu'il se situait hors des classes sociales et que son critère était simplement "la révolte de la jeunesse". Le pauvre bourgeois dans son néant idéologique...



Post scriptum éloquent :
Dans sa pub sur le web pour sa littérature, Les « dix leçons » du livre de Filiu, il y a le fait que ce sont des « révolutions sans chef », voici ce qu’il répond au journaliste : «  Je suis convaincu que ce n’est pas une faiblesse. Le fait de ne pas avoir de chef a failli être fatal à la Révolution libyenne dans un contexte de guerre civile. Mais je reste convaincu que la Libye sera l’exception ». Or une révolution qui n’a pas de chef, c'est-à-dire qui n’a ni parti ni éléments d’avant-garde capables d’orienter, non pas des masses en général, mais le prolétariat, est mort-née. C’est la gogolité des apologistes des réseaux sociaux (contrôlés par Washington) et des « indignés » où personne ne décide et où rien ne se décide pour laisser le pouvoir finalement à l’Etat et à ses polices diverses, flics et syndicalistes.
Filiu nous ressort encore la fable éculée du soulèvement de la jeunesse dans « le monde arabe »… en autarcie civilisationnelle sur Rue 89 :
« Cette dynamique arabe indéniable va se traduire par le fait que chacun de ces mouvements, s’il progresse, peut en entraîner d’autres ; s’il stagne, ça a aussi un impact sur la dynamique des autres ; s’il est contrarié, réprimé, ou s’il y a contre-révolution, cela affectera l’ensemble. On a aujourd’hui un monde arabe qui est porté, traversé, par le soulèvement de sa jeunesse, que ce soulèvement soit actif ou prêt à se déclencher. Cette jeunesse partage le même refus du système – en arabe, régime et système, c’est le même mot – dont elle demande, selon les cas, le renversement ou la réforme ».
A la question du journaliste à l’apôtre de la révolution imaginaire et perpétuelle arabe : Quel est le « programme commun » de ce mouvement ?:
« Partout, on retrouve la même exigence partagée, qui tourne autour de principes très simples :
  • transparence ;
  • lutte contre la corruption ;
  • partage du pouvoir et des richesses ;
  • élections libres.
Toutes choses qui prennent quelques minutes à dire, mais parfois des mois de lutte et des années à mettre en place. Et non seulement ça ne va pas se calmer, mais ça va plutôt s’intensifier, car ce mouvement charrie beaucoup d’énergie, mais ne sera pas linéaire : il connaîtra des phases de désespoir, de désenchantement, voire de trahisons, ce qu’on n’a pas encore vu. Mais il connaîtra aussi de très grandes victoires. Et je suis personnellement convaincu qu’en Syrie, il ira jusqu’au bout, et il faudrait mieux que le régime syrien, au lieu de s’entêter dans une répression abjecte, tire les conséquences de la poursuite de la contestation, malgré plus de 2 000 morts, soit deux fois le bilan de la Révolution égyptienne dans un pays quatre fois moins peuplé. Le mouvement ne faiblira pas selon moi, et il fera tout pour s’en tenir à sa dynamique citoyenne. La leçon que l’on tire de la Libye c’est que, sauf en cas de menace d’extermination – il n’y a pas d’autre mot, la Révolution libyenne était menacée de liquidation –, il faut s’en tenir à la voie citoyenne.
« La voie citoyenne » de cet agent de l’Etat bourgeois passe en réalité par les mêmes voies que la fausse libération libyenne : armements fournis par divers impérialismes locaux et composition avec les gangs islamistes et libéraux pour reprendre et assurer la continuité de l’Etat bourgeois. Sachant qu’on ne peut pas parler d’  « opposition syrienne ». Il existe différents groupes d’opposition en Turquie, en France, en Grande-Bretagne, et en Syrie. Le bloc dominant est le Conseil national syrien (CNS), dont le siège est à Istanbul. Il regroupe différentes personnes dont des intellectuels. C’est un mensonge de dire qu’ils sont soutenus par la population syrienne ; c’est qui la population syrienne et quelle classe ? Le fait de s’être ralliés à l’Armée syrienne libre (ASL) leur a donné un peu plus d’écho en Syrie. Mais l’opposition est loin d’être unie et c’est un mouvement qui risque de ne pas durer. Si les choses finissent par se calmer, ce sont encore une fois les Frères musulmans qui au final rafleront la mise dans la lutte contre Bachar el -Assad, car ils représentent une véritable force politique.
Allez encore un morceau de choix du Filiu :
Le journaliste : « Vous inscrivez pleinement la révolution syrienne, avec ses spécificités, dans le processus en cours dans l’ensemble du monde arabe. Mais d’autres analystes y discernent une sorte de complot occidental contre ce pilier anti-impérialiste qu’incarnerait encore, malgré tout, Damas, aux côtés de Téhéran et du Hezbollah, le tout sur fond de nouvelle guerre froide. Mais le précédent libyen a traumatisé tout le monde… ».
Filiu : « Le plus important à mes yeux, dans l’expérience libyenne, est moins l’intervention militaire que le transfert de légitimité. Le jour où l’on a dit : la Libye, ce n’est plus Kadhafi, mais les révolutionnaires. Rappelez-vous François Mitterrand affirmant, lors du siège de Beyrouth en 1982, que les Palestiniens avaient conquis une représentativité à la mesure de leur droit de se battre. Les Syriens aussi, vous ne croyez pas ?
Le journaliste : « Élargissons un peu le champ de l’analyse. Certains disent que le « printemps arabe » est entré dans son hiver. Et les mêmes qui défendaient hier les dictatures comme « rempart » contre le fondamentalisme, enterrent aujourd’hui les révolutions en cours parce que les forces islamistes ont tiré les marrons électoraux du feu ».
Filiu : « Avec les mêmes œillères idéologiques. J’envie ces gens qui ont tout compris à la Syrie et, plus généralement, au Proche-Orient avant même de les étudier : ils arrivent et ils savent. Mais qui a dit que les révolutions, c’était « cool » ? Qu’en quelques mois, elles surmonteraient sans à-coups les conséquences de décennies de dictatures, de corruption et de misère ? Nous assistons à un mouvement profond, nouveau, complexe et durable. Il bouscule nos grilles de lectures, nos concepts, nos catégories. Des recouvrements se produisent : l’ancien ordre vampirise encore le nouveau. Ou, comme disait Gramsci, « le vieux ne veut pas mourir et empêche le neuf de naître » ! En tout cas, tout cela devrait inciter le chercheur – et, si vous me permettez, le journaliste – à la modestie et à l’inventivité. Nous ne sommes qu’au début d’un processus de rattrapage et d’émancipation sur le temps long, dont il serait évidemment absurde de prétendre dresser le bilan sur le temps court. Commençons par bien l’observer. Inscrivons-le dans la longue histoire du monde arabe.
Le journaliste : « Depuis la guerre de 1967 et l’échec des socialismes arabes ?
Filiu : « Non, depuis la Nahda, la renaissance entamée il y a deux siècles ! Et j’ajoute : l’ethnocentrisme peut être de droi­te comme de gauche. Projeter des stratégies et des étapes occidentales sur des réalités qui n’y sont pas réductibles représente une grave erreur. Comme si nous détenions le certificat de la bonne révolution. Eh bien non ! Les Arabes ne nous ont pas demandé notre avis pour entamer la leur et ils la mèneront jusqu’au bout – y compris en Syrie, j’en suis sûr. À ceux qui, sincèrement, s’inquiètent de voir les « islamistes » – si cette étiquette généralisatrice et homogénéisatrice a un sens – remporter, une à une, les élections organisées dans les pays libérés de leur dictature, que répondez-vous ? Voyez-vous des signes garantissant que ces États ne sont pas engagés, comme l’Iran il y a trente ans, dans un long tunnel théocratique ? C’est une phase transitoire, et les islamistes le savent. C’est pourquoi ils s’efforcent de transformer en acquis structurels leurs gains conjoncturels. De ce point de vue, il faut suivre de près l’évolution d’Ennahda, en Tunisie : ses relations ambiguës avec les salafistes, son invocation d’un délit d’« atteinte au sacré » et surtout ses tergiversations sur la Constitution ont de quoi inquiéter. C’est une période délicate, qui s’achèvera le 23 octobre prochain. Soit l’Assemblée constituante aura achevé ses travaux, soit une crise s’ouvrira. Si le parti Ennahda regarde du côté de l’Égypte, il verra que le total des forces islamistes – Frères et salafistes – est passé, entre les législatives de janvier et la présidentielle de mai, de 70 % à 40 % des suffrages. En effet. Nous en savons un peu plus, par ailleurs, sur l’électorat des Frères musulmans égyptiens, qui vient surtout des classes moyennes. Ce qui n’a rien d’étonnant, car leur ligne économique, en Égypte aussi, est aussi plutôt conservatrice…C’est dire que la restructuration du paysage politique s’opérera aussi autour de la question sociale, avec des forces populaires en voie de réorganisation. Bien sûr, chaque situation nationale est différente. Mais un point commun se dégage : une partie du peuple ne peut plus s’imposer à l’autre. Une Tunisie ne gagnera pas contre l’autre, une Égypte n’écrasera pas l’autre. Et cela, tous doivent l’accepter : pour que la société se recompose par le bas, et non d’en haut, aux forceps. C’est tout l’enjeu du processus révolutionnaire en cours, du Maghreb au Machrek ».
Si Filiu a raison de noter une perte de crédibilité des islamistes, il n’approfondit en rien le processus de délégitimation des bandes politico-religieuses au pouvoir face à la crise économique et se garde de révéler que jusqu’à présent les usurpateurs de la supposée révolution arabe ont traité avec la dame et le roi, c'est-à-dire avec Obama et Mme Clinton pour se partager la rente pétrolière, et que les gangs islamistes sont plus coopérant que les dictateurs évincés…

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