"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mercredi 2 juin 2010

LE PIEGE « HUMANITAIRE » DU HAMAS DANS LEQUEL L’ETAT BOURGEOIS ISRAELIEN EST TOMBE


« La grande aventure du XX° siècle qui s’achève s’appelait le marxisme.
La grande aventure du XXI° siècle commence et s’appellera mouvement humanitaire ».
Bernard Kouchner


Ce texte est le produit (en même temps que la conséquence) d’une discussion que j’ai menée avec des sympathisants du Hamas, et il contiendra mes réponses à leurs deux principales objections :
- les raiders meurtriers de l’Etat d’Israël n’avaient pas à tirer sur des militants « humanitaires »,
- « le Hamas est chez lui en Palestine ».
Cette contribution s’attachera à démontrer que l’exhibition de la « question nationale palestinienne » par la bourgeoisie internationale n’est que le devant de la vitrine impérialiste et sa dictature dans la région du Moyen Orient (zone pétrolière + masses paupérisées, armée de réserve de sans papiers pour l’Europe industrielle), pour masquer aux prolétaires de cette région que la véritable question posée mondialement est la suppression de toutes les frontières, et dériver leur colère contre la misère capitaliste et colonialiste dans les ornières des nationalismes juif et arabe.


1. NAISSANCE DU GRAND CIRQUE HUMANITAIRE :

Laissons dans leur tombeau les infirmiers Chevaliers de Malte et leurs hôpitaux pour recueillir les chrétiens blessés après avoir été captifs en terre d’Islam (qui n’est d’ailleurs à l’origine pas du tout terre d’Islam), et Bartholomé de Las Casas pour sa défense des Indiens américains. Dans l’histoire de l’œcuménisme humanitaire bourgeois, avant la Croix-Rouge, les curés précédaient les armées colonialistes pour « civiliser les sauvages ». La Croix-Rouge a été fondée en 1863 et n’a pas secouru les milliers de communards torturés et fusillés, ou déportés en 1871. Le jeune Trotsky a remarqué au cours de la Première Guerre mondiale que la Croix-Rouge servait à soigner les blessés pour qu’ils retournent plus vite au front » !
On peut faire remonter l’idéologie d’un capitalisme plus humain ou du moins qui se contrôlerait dans sa barbarie, à 1918. La guerre mondiale interrompue par les ouvriers russes et les bolcheviks, fût présumée être « la der des der ». En 1945, « plus jamais ça », non plus. Et pourtant toutes les dites « libérations nationales » qui servirent de masque à la confrontation – dans la « guerre froide » - entre les deux blocs, firent autant de morts probablement jusqu’à la fin des années 1970 que la seule Deuxième boucherie mondiale, quoique hors du territoire européen.
Malgré les grandes déclarations « humanitaires » qui avaient présidées aux conclusions triomphales de la démocratie américaine et du stalinisme, les guerres de décolonisation dites de « libération ou de révolution nationale », guérillas révolutionnaires, affrontements religieux ou tribaux allaient décupler les horreurs, encore plus éloignées des catégories du conflit classique comme aux règles dudit droit humanitaire. Or, la guerre, même localisée, reste la guerre « protégée par un rempart de mensonges » (cf. Churchill) dont la section « action humanitaire » a accédé au rang de composante obligatoire à l’époque moderne où le prolétariat demande des comptes (même à travers les étudiants américains durant la guerre du Vietnam) : « Les États voient dans l’action humanitaire au mieux une arme de propagande dans le conflit idéologique - chacun dénonce les violations commises par l’adversaire tout en s’employant à couvrir celles auxquelles pourraient se livrer ses partenaires -, au pire un élément propre à déstabiliser la conduite de politiques étrangères réalistes : faut-il rappeler la recommandation de Henry Kissinger de ne pas introduire dans les négociations avec l’U.R.S.S. le problème des dissidents et des juifs d’Union soviétique ? » (Pierre Garrigue)
Les années cinquante et soixante du siècle dernier ont vu une floraison d’organisations non gouvernementales - O.N.G. auxquelles les Nations unies reconnaissaient un statut consultatif – qui, révélant les carences des Etats emprisonnés dans leur idéologie nationale autarcique, montrant la nécessité de créer des organismes d’assistance qui prétendaient atténuer les horreurs du capitalisme (famines, guerres locales, etc.) que ni les États bourgeois ni les institutions du système onusien - Haut-Commissariat pour les réfugiés, U.N.I.C.E.F., F.A.O., O.M.S. – n’étaient en mesure de réduire.
L’idéologie humanitaire n’est pas tombée du ciel. Elle n’est pas une création du Président français Giscard ni de son petit télégraphiste Kouchner. A l’origine elle apparaît déjà comme une théorie « qui n’est pas discutable », dans le cas du Biafra, comme l’a rappelé il y a peu et désobligeamment Rony Brauman : « C’est là, en 1968-69, qu’apparaît le thème du génocide et de la mobilisation de l’opinion publique pour empêcher un nouvel Auschwitz. Il n’y avait pas plus de génocide au Biafra qu’au Vietnam mais c’est cette référence – avec tous les leviers d’intimidation morale et de mobilisation compassionnelle qu’elle implique – qui a été alors mobilisée. La victime d’un génocide est la “victime absolue” : toute interrogation autre que celle portant sur les moyens d’un sauvetage immédiat est disqualifiée d’avance. Tout effort de compréhension politique de la situation est stigmatisé comme coupable complaisance envers le mal absolu. Cette scène inaugurale n’a cessé de se répéter et les responsables de l’Arche de Zoé sont les héritiers maladroits et zélés de Kouchner ».
L’idéologie humanitaire « qui n’est pas discutable » est une invention du bloc occidental, face au bloc russe « anti-capitaliste » et « anti-guerre », popularisée plus tardivement par des nations devenues secondaires dans l’arène inter-impérialiste. La bourgeoisie française en premier lieu, eût le culot – après avoir refilé la patate chaude du Vietnam aux USA – de prétendre remettre son nez (contre la « barbarie communiste ») dans le carnage militaire en 1979 avec « le bateau pour le Vietnam » où le prude Giscard avait enrôlé les deux principaux philosophes de la droite et de la gauche, les Aron et Sartre déjà gâteux, pour la grande cause humanitaire qui consista à récupérer des milliers de « boat-people » jetés à la mer par les séides du bloc stalinien. Du fait de son intense médiatisation, l’opération patronnée par un certain Bernard Kouchner (cf. Biafra 1968), ex-leader maoïste reconverti dans un créneau de longue marche pour devenir ministre tôt ou tard (l’affrètement du paquebot Île-de-Lumière, en 1979), opération, intitulée “Un bateau pour le Vietnam” est déjà ironiquement rebaptisée à l’époque “Un bateau pour Saint-Germain-des-Prés” ! Rony Brauman a rappelé en 2008 le retournement subit d’un quarteron de petits chefs maoïstes dans « l’humanitaire-spectacle » pro US : « Il s’agissait d’un cargo affrété à l’initiative d’intellectuels français (Olivier Todd, Claudie et Jacques Broyelle, André Glucksmann, Bernard Kouchner notamment), pour recueillir en mer de Chine les Vietnamiens qui fuyaient leur pays par la mer. Tout avait commencé avec un navire (le “Haï Hong”) arrivé sur la côte de Malaisie en novembre 1978 avec près de 2500 réfugiés à bord et que les autorités de ce pays menaçaient de renvoyer en mer. Des reportages télé avaient fait du Haï Hong un nouvel Exodus, dans un contexte où le Vietnam était devenu le symbole de l’oppression totalitaire soviétique après avoir été celui du triomphe d’un peuple contre l’impérialisme américain. D’innombrables bateaux de “boat people” ont été attaqués par des pirates. On estime que des dizaines de milliers de Vietnamiens se sont noyés lors de la traversée de la mer de Chine. A l’époque, André Glucksmann avait parlé d’”Auschwitz liquide”… Un peu plus tard, après une livraison de vivres à Phnom Penh, Kouchner avait déclaré : “J’ai remonté le Mékong jusqu’à Auschwitz.” Le décor était planté, les thèmes installés : la machine de mort, le génocide d’un côté, les éveilleurs de conscience de l’autre. Je ne prétends pas que toute action visant à frapper les esprits soit condamnable en soi, loin de là. De là à en faire un système, il y a un pas que je ne franchis pas ».
Une Claire Moucharafieh, qui dénonce pourtant un « humanitaire-alibi », a repris une idée à la mode selon laquelle l’humanitaire aurait suppléé à la « disparition du communisme » (sans préciser que celui-ci n’a jamais existé), et sans préciser que la conversion d’anciens leaders gauchistes comme Kouchner n’était que leur alignement arriviste sur l’idéologie humanitaire du bloc occidental fabriquée contre le bloc russe : « L’enthousiasme pour l’action humanitaire découle de la transformation des mentalités survenue au cours des années 70, liée au déclin des idéologies radicales et notamment du communisme en tant que force morale et horizon politique plus qu’en tant que système de gouvernement. La chute du Mur de Berlin ne vient qu’entériner, sur le plan politique, un processus entamé depuis longtemps. Dans le reflux de l’idéologie, l’horizon de la justice est occulté au profit de l’immédiateté : à défaut de faire régner la justice, allégeons le sort des victimes individuelles. Ce troc de la volonté de transformer la société contre une implication immédiate et une éthique individuelle fournit les conditions d’essor de l’humanitaire ». Mlle Moucharafieh confond la tourne-bride d’une fraction de la petite bourgeoisie avec une propagande déterminée et offensive des élites bourgeoises, sans demander son avis au prolétariat universel. L’Etat français et des intellectuels gauchistes recyclés ont contribué à modeler le nouveau masque de l’impérialisme de petite puissance, ou puissance devenue secondaire au nom d’un « sans-frontiérisme » humanitaire qui, se cachant sous le « devoir d’urgence » théorise le « devoir d’ingérence », suggérant que des Etats ou des régions entières sont devenus incapables d’appliquer au moins le minimum du « droit humain ». Contrairement à la Croix-Rouge muette, les « médecins sans frontière » s’institutionnalisent comme « nouveaux diplomates » occidentaux bien sûr. Dans les guerres permanentes entre grandes puissances, rendues opaques par l’affrontement entre pays secondaires, les nouveaux diplomates de telle ou telle puissance secondaire sont chargés de « faire la morale » en posant aux côtés des blessés ou avec un sac de riz sur l’épaule. Tous les théoriciens de la saga humanitaire hypocrite, à la Pierre Garrigue, fabulent sur les soit disants conflits internes entre communautés qui « échappent souvent à la rationalité politique et ne peuvent être traités par les moyens de la diplomatie classique » ! Puis les Etats dominants fonderont à leur tour leurs ONG, comme on forme toujours des avant-gardes militaires ou des espions pour précéder la marche des armées… Les Carter et Mitterrand s’illustrèrent dans les chansons humanitaires à la charnière des années 1980 et scellèrent la complémentarité de l’idéologie politique dominante et de la prétention humanitaire de chaque Etat (Kouchner obtient sa promo de ministre en 1988). Pendant les dix années qui précèdent l’effondrement de l’URSS, le bloc occidental, à travers l’ONU, va jouer les intermédiaires avec ses casques bleus pour tempérer les conflits régionaux. On peut déduire que, sur ce plan, le bloc occidental a grillé la politesse au bloc russe et à ses multiples filiales qui finançaient les mouvements et manifestations « pour la paix ». Sans rire, P.Garrigue nous confie que : « l’armée devient une grande organisation humanitaire et envisage la formation d’unités spécialisées ». Bienheureuse mue de l’armée mais qui nous fait trop penser au changement des termes « ministère de la guerre » devenu partout « ministère de la défense » ! Aucune ONG n’est vraiment « indépendante » et chacune dépend en tout cas des « autorisations » de cartels d’Etats. La plupart des ONG humanitaires dépendent financièrement de leurs propres États, des instances européennes comme le service d’aide humanitaire de la Commission Européenne (DG-ECHO) ou des institutions internationales.

2. DU PRINCIPE DE NON-INGERENCE :
L’impérialisme peut s’asseoir sans se gêner sur le « principe de non-ingérence ». Tout Etat fauteur de guerre peut invoquer ainsi la barbarie du voisin pour y mettre les pieds. Mais qui est juge de la réelle barbarie d’un côté ou de l’autre ? L’ingérence « humanitaire » US en Irak contre le « barbare » Saddam Hussein a commis plus d’un million de morts probablement, un chiffre que S.Hussein n’a jamais atteint ni frôlé tout au long de son règne. L’invocation du « chaos international » ou de la « décomposition » de certains pays sert trop bien la prétention des puissances des pays riches à être les seuls vrais porteurs des « droits de l’homme ». Provoquer la guerre a toujours dépendu de l'art de déguiser ses intentions, d'une manière ou d'une autre, en endossant l'uniforme d'infirmier ou du soldat d'en face; le prétexte pour Hitler d'envahir la Pologne avait été l'attaque des soldats polonais contre l'Allemagne, or ces soldats étaient les siens: l'Etat-major avait envoyé de l'autre côté de la frontière une rangée de soldats teutons revêtus de l'uniforme polonais et qui firent mine d'attaquer le Reich en tirant en l'air...
P. Garrigue ne mesure pas toute la gravité de « l’ingérence coercitive » - où la gesticulation prend la place de l’action - qu’il établit sur les droits « seigneuriaux » de l’idéologie humanitaire : « L’humanitaire d’État, que les médecins sans frontières appelaient de leurs vœux, a donc pour première conséquence l’intervention des puissances et de leurs forces armées : soit indirectement, par les actions de la communauté internationale conduites avec l’appui des casques bleus ; soit directement, sous un mandat du Conseil de sécurité. Associée aux dispositions du chapitre VII de la Charte des Nations unies autorisant le Conseil de sécurité à recourir à la force en cas de menace pour la paix, la résolution de 1988 sert ainsi de fondement aux interventions humanitaires au Kurdistan irakien, au lendemain de la guerre du Golfe, en Somalie et dans l’ex-Yougoslavie ». Tout est mélangé dans l’idéologie « humanitaire », aussi bien les secours apportés aux populations d’Éthiopie victimes de la famine, l’aide aux Arméniens après le séisme de 1988, l’intervention des casques bleus en Bosnie et en Somalie, ou encore l’intervention militaire criminelle « Tempête du désert ». L’éclatement de l’ex-Yougoslavie et l’enlisement en Somalie laissèrent le prétendu droit d’ingérence humanitaire (= le droit du plus fort) aux portes de Sarajevo… quand les convois d’assistance restent au sol ou sont détournés et que les bombardements continuent. En 1979, ce qui pèse le plus dans la chute de Bokassa ce n’est point son lâchage par la bourgeoisie française mais la campagne d’Amnesty International qui annonce que cent enfants ont été tués dans une prison de Bangui, pour avoir protesté contre le coût élevé d’uniformes à son effigie. Bokassa a non seulement participé à cet événement, mais a également mangé certaines des victimes ; le dictateur protesta de sa foi chrétienne intense (malgré un bref crochet par l’Islam suite aux conseils de Kadhafi) mais était définitivement décrédibilisé au niveau international aux yeux de toute puissance éventuelle prête à le « racheter ».
Claire Moucharafieh a fourni un bon exemple de l’humanitaire instrumentalisé : « L’exemple-type de l’humanitaire-spectacle, c’est le voyage de François Mitterrand à Sarajevo en juin 1992 : dévoiement de l’humanitaire qui nous place délibérément en situation d’impuissance politique. Face au siège de Sarajevo, un pont aérien (de pansements) va être mis en place. Le politique ne s’affirme plus qu’en renonçant à tous ses attributs: la gestion d’un rapport de force. Face à l’agression contre un pays reconnu (la Bosnie), la seule mesure adoptée consiste à envoyer des pansements, en optant pour la logique traditionnelle de l’humanitaire : ne pas nommer l’agresseur, s’abstenir de toute prise de position, et ne voir que des victimes. C’est la politique de la pitié, qui ne connaît ni citoyens, ni espaces de liberté, mais seulement des victimes, des blessés, des estomacs ». En effet, malgré son innocence initiale à la fin des années 1960, l’humanitaire ne sert plus à faire la guerre par d’autres moyens (sans faire la guerre soi-même tant que la puissance de tutelle ne demande pas de contingent national supplétif ad hoc à chaque allié « humanitaire ») ; il sert à cacher l’impuissance d’un Etat protecteur ou dans le cas de la France, d’alibi à son soutien à la Serbie. Sarajevo, en juin 1992 : « souffrait d’encerclement, et non de la faim, ni de l’absence de moyens médicaux. L’humanitaire n’y était utilisé que comme écran de fumée, une aubaine pour les agresseurs ». Elle aurait pu nous parler aussi de « l’opération turquoise » en 1994 au Rwanda, où la bourgeoisie française fût coresponsable du génocide et où l’humanitaire-instrumentalisé trouve pas son explication dans un simple rapport de force franco-africain mais inter-impérialiste plus large ; où la bourgeoisie française est obligée de surfer avec l’humanitaire. Dans les faits, l’effondrement du bloc soviétique et les nouvelles offensives néolibérales en matière de coopération internationale pour le développement avaient fragilisé les relations (pétrolifères en particulier) entre le gouvernement français et ses amis africains.
L’humanitaire-alibi est dénoncé depuis longtemps par toute une frange politique de la gauche bourgeoise en France, mais incomplètement… Un Mohamed Belaali, qui trône régulièrement dans un site satellite du PCF - « Le grand soir » - dénonce justement l’humanitaire-alibi de grande puissance : « Le cas de Haïti a démontré d’une manière plus éclatante combien l’humanitaire est au service du capital. Tous les pays impérialistes, grands et petits, se sont précipités comme des vautours, au nom de l’humanitaire, sur la tragédie de ce petit pays. Que voit-on sous nos yeux ? D’un côté l’armée américaine, avec ses boys surarmés, qui se déploie dans les rues de Port-au-Prince, qui contrôle l’aéroport de la capitale haïtienne et tous les axes stratégiques. (…) ONG, entreprises multinationales, artistes, sportifs de haut niveau, hommes et femmes politiques sont ainsi enrôlés dans cette sinistre opération coordonnée par un commandement militaire. « La coopération s’opère à tous les niveaux sous la conduite du Pentagone, seul capable d’assurer le rôle de leader (...) le contrôle est laissé au militaire, subordonnant l’acteur civil et humanitaire » disait Stéphane Sisco membre du Conseil d’administration de Médecins du Monde. (…) L’aide humanitaire est évidemment la mission officielle de cette armada : « Notre mission est de fournir une assistance humanitaire », déclarait à l’AFP le colonel Pat Haynes. (…) Les multinationales dont la brutalité exercée sur leurs propres salariés est quotidienne (exploitation, conditions de travail insupportables etc.) se métamorphosent en entreprises philanthropiques et envoient, dans un élan de générosité, des millions d’euros ou de dollars aux pauvres haïtiens. (…) Pour ces entreprises et pour bien d’autres qui participent à cette grande messe humanitaire, le drame haïtien est utilisé, avec beaucoup de cynisme, comme opération de relations publiques. L’humanitaire constitue, pour elles, une aubaine qui leur permet, à peu de frais, d’améliorer leur image de marque bien ternie par des scandales multiples et par leur attitude inhumaine (…) L’humanitaire sert de paravent aux visées hégémoniques impérialistes. Il exploite cyniquement les sentiments altruistes et de solidarité des citoyens pour servir, en dernière analyse, les intérêts d’une classe sociale minoritaire, mais qui possède tous les pouvoirs ».

3. ET L’HUMANITAIRE DU PARTI NATIONALISTE HAMAS, DESINTERESSE OU ALIBI ?

Il est toujours frappant de voir que la plupart des journalistes ou apprentis politiques de gauche sont sourds d’un côté ou aveugles d’un œil. Nos Claire Moucharafieh et Mohamed Belaali, qui ont si bien dénoncés l’humanitaire-alibi, et avec des exemples édifiants, oublient d’appliquer ce raisonnement au parti Hamas, et adhèrent aux déclarations du « Free Gaza Movement » : « Les menaces d’Israël d’attaquer des civils non-armés à bord de bateaux transportant de l’aide pour la reconstruction sont scandaleuses et montrent la nature cruelle et violente des politiques d’Israël envers Gaza. La Flottille de la Liberté, en défiant un blocus déclaré illégal par l’ONU et d’autres organisations humanitaires, agit en accord avec les principes universels des droits humains et de justice. Les palestiniens de Gaza ont droit aux milliers de produits essentiels, dont le ciment et les manuels scolaires, interdits d’entrée par Israël, ainsi qu’a l’accès au monde extérieur. La coalition Flottille de la Liberté demande à tous les signataires de la Quatrième Convention de Genève de faire pression sur Israël pour qu’elle remplisse ses obligations vis-à-vis de la loi humanitaire internationale, qu’elle arrête le blocus meurtrier sur Gaza et qu’elle se retienne d’attaquer ce convoi pacifique » (communiqué du FGM). Ce ralliement ou soutien implicite de la mouvance du PCF au Hamas ne nous étonne guère de la part de gens qui défendent des « solutions nationales » à la crise, et qui sont toujours prêts comme toutes les cliques gauchistes, à applaudir le moindre dictateur « anti-impérialiste », comme la moindre mafia nationaliste « anti-américaine » ou « anti-européenne ».
Or, toute l’opération dite « humanitaire », même si d’innocentes ONG y participent, a été préparée de longue main par le Hamas. Face à ce qu’il faut bien nommer une fausse bavure, avec véritable intention de terroriser, pour l’heure, ce parti nationaliste en tire tous les bénéfices politiques au niveau mondial. Le dictateur Kadhafi a accusé les Etats-Unis de "financer" Israël et d'être ainsi responsables de l'assaut israélien contre une flottille pro-palestinienne qu'il a qualifié de "crime odieux", dans un message au président américain Barack Obama : "La responsabilité de ce crime odieux n'incombe pas aux Israéliens mais aux Etats-Unis et au pauvre contribuable américain qui finance cette entité coloniale...", a ajouté le vieux colonel décrépi avec ses ray-ban. Ceux "qui ont tué des dizaines de partisans de la paix, des civils non armés, ne l'auraient pas fait s'ils n'étaient pas appuyés par la sixième flotte (de la marine) américaine", a-t-il encore indiqué. Il a appelé par ailleurs le président américain à "épargner au peuple américain de financer une mafia terroriste", en allusion à Israël. Question mafia terroriste Kadhafi est bien placé pour faire la leçon… C’est encore Mohamed Belaali qui nous expliquait fort justement, mais uniquement comme « généralité » (non généralisable ?) qu’on fait la guerre au nom de l’humanitaire (In Alternatives): « L’humanitaire et la guerre sont deux moyens contradictoires mais complémentaires avec un seul objectif : servir les intérêts des classes dominantes. Il est difficile de distinguer clairement l’humanitaire du militaire tellement les deux instruments sont imbriqués l’un dans l’autre.
On fait la guerre au nom de l’humanitaire et on invoque l’humanitaire pour justifier la guerre. Mais l’humanitaire reste souvent subordonné au militaire comme le rappelle Stéphane Sisco membre du Conseil d’administration de Médecins du Monde, « La coopération s’opère à tous les niveaux sous la conduite du Pentagone, seul capable d’assurer le rôle de leader. Comme nous le voyons en Irak les forces armées fixent l’ordre des priorités et maîtrisent le déroulement de la mission, du pré-déploiement à la sortie de crise (exit strategy). Le contrôle de l’OTAN au Kosovo en 1999 etc. ».
Face à l’ingérence israélienne dans les eaux territoriales internationales, le Hamas a invoqué aussi son droit à l’ingérence en Palestine… On m’a répliqué que le Hamas « est chez lui en Palestine », mais cela m’a fait le même effet que si l’on me disait : « le FN est chez lui en France ». Les pays n’appartiennent ni à un parti politique rétrograde ni à telle ou telle bourgeoisie : la terre est à tous ou elle n’est à personne, a dit un jour je crois notre bon vieux Babeuf. Le Hamas s’est placé sous la bannière du raisonnement des Etats les plus puissants : le droit d’ingérence n’est donc pas réservé au droit du plus fort. Il y a même une solidarité des petites nations bourgeoises tard venues entre elles face aux rapaces impérialistes ; les pays sous-developpés du sud, mais bien aussi capitalistes, ont rejeté ce « droit d’intervention humanitaire » à la Havane en 2000 lors du sommet du G77. Le droit d’ingérence est réversible seulement pour les grandes puissances et leurs acolytes principaux. Le droit de non ingérence est brandi par la bourgeoisie israélienne, soutenue sans faille par l’américaine. Pas question de se mêler des massacres et destructions perpétrés par les séides armés israéliens dans la bande de Gaza ni de briser la ghettoïsation de sa population! Tout démontre que l’affrontement du « droit d’ingérence » du Hamas et du droit de « non ingérence » de l’Etat hébreu n’est que la comédie de deux alliés objectifs. David Ambrosetti s’est penché sur les « récits légitimateurs à l’ONU » :
« Au sein de la mission permanente de la France à l’ONU, comme dans les autres délégations du Conseil, les diplomates en situation de travail quotidien se saisissent toujours plus aisément et rapidement de l’idée humanitaire, alors que les activités développées au sein de l’ONU en son nom se multiplient. « Parler humanitaire » est devenu une pratique normale, une attente collective, y compris au Conseil. Depuis la fin des années 1980, on le sait, des décisions opérationnelles mais aussi doctrinales, juridiques et politiques renforcent ce mouvement à l’ONU. Côté français, cela n’en constitue pas moins un choc « culturel » entre milieux professionnels initialement très éloignés ».
« Le travail diplomatique, en particulier celui des représentants permanents de la France à l’ONU, repose traditionnellement sur un souci de prudence, sur un savoir-faire qui consiste à jouer le jeu multilatéral avec une relative discrétion, contre les tentations d’utiliser le Conseil de sécurité de l’ONU comme une tribune pour des postures de circonstance que l’on souhaiterait relayer bruyamment dans l’espace médiatique international. C’est là une sorte d’éthos spécifique au corps diplomatique, très opportun à propos d’une position – celle de membre permanent du Conseil de sécurité – fortement convoitée et disputée par d’autres ».
« La dimension spectaculaire et médiatique qui accompagne le développement de l’humanitaire – en particulier sous l’impulsion d’un Bernard Kouchner – semble aux antipodes de cet ethos. Mais les ressources générées par cette idée humanitaire ont rapidement été perçues par les professionnels de la politique interétatique. Sans grand coût, de surcroît. (…) Le seul franc succès de l’idée humanitaire réside dans le domaine du geste secourable, volontaire, donc sélectif, via un accroissement quasi industriel des institutions et des moyens étatiques consacrés à cette assistance humanitaire. Un geste secourable qui s’est même transformé en action armée salvatrice, à la discrétion des États capables de l’assurer. Et avec bien peu de résultats probants en matière de résorption et de prévention des violences, au bout du compte. (…) Le jeu de l’influence se joue désormais devant de nouvelles audiences, médias internationaux et organisations non gouvernementales, porteuses d’attentes en partie nouvelles. Socialisée initialement dans le strict cadre diplomatique confiné du Conseil de sécurité, la diplomatie française a progressivement appris à domestiquer les attentes portées par ces audiences (qui demandent des pures victimes, des purs sauveurs armés, du spectacle), quand d’autres partenaires-rivaux (Américains en tête) savaient les exploiter de longue date » (cf. son article : « La politique internationale, l’humanitaire et le maintien de la paix, Normes pratiques et récits légitimateurs à l’ONU »).
Le parti nationaliste Hamas n’a rien inventé concernant l’humanitaire-alibi, mais il a prouvé de plus que « ça marche » à fond pour des millions de spectateurs. Pour un bon moment encore. Le raid meurtrier de l’Etat colonialiste israélien était anticipé par le parti Hamas qui a sciemment envoyé ses activistes et souteneurs de plusieurs pays, au casse-pipe, car quand « l’humanitaire-alibi » sert de ficelle diplomatique, dans l’art de la guerre médiatique, il pousse inévitablement l’adversaire à dévoiler ses cartouches en tirant dans le tas, cyniquement, comme les hommes armés du Hamas l’eussent fait dans la même situation… d’ingérence dans la défense nationale.

dimanche 30 mai 2010

LA RETRAITE OU LA REVOLUTION ?

Une réponse au débat des hekmatistes de « La Bataille socialiste »


1.PAS DE SOLUTION NATIONALE :

Pour l’essentiel, le remue ménage sur la question « à hauts risques » des retraites - tribunes de presse, polémiques télévisées, manifestations syndicales moroses – reste enfermé au niveau national. Partout, dans chaque Etat on demande à chacun, jeune et vieux, de se soucier de l’intérêt « du pays », de « l’avenir de nos enfants »… sans retraite.
Sur ce premier plan d’un débat aveugle, je prendrai pour exemple le débat offert par le site social-démocrate « La Bataille socialiste », au demeurant site riche de documents historiques sur le mouvement ouvrier et les ailes gauches de la bourgeoisie démocrate, présentée comme « amie des ouvriers » (Pivert et Cie).
Sous le titre vague et stupide suivant : « Retraites : Il faut nous fonder uniquement sur nos besoins » les animateurs ont invité à débattre un certain Nicolas Dessaux, archéologue et président de l’association solidarité Irak. Cet intellectuel est apparemment un des plénipotentiaires de la mouvance du « communisme ouvrier », variante conseilliste-ouvriériste d’un milieu petit bourgeois tiers-mondiste, initialement animé par des intellectuels irakiens réfugiés en Europe (Mansoor Hekmat) et qui dispose de ramifications en Europe et Amérique du Nord, avec des critères comparables à ceux de l’Eglise de scientologie ou de Greenpeace (fabriquer des vedettes connues des médias, disposer de chaînes de télévision, se servir de prête-noms démocrates, genre Dessaux, bombardés présidents de machins laïques, etc. Lire sur wikipédia les définitions fournies par ce curieux réseau lui-même). As du langage ambigu, les religionnaires de cette mouvance piquent apparemment leur radicalité dans les conceptions du courant maximaliste du début du XXe siècle (Pannekoek ; Luxemburg, Bordiga, etc.) mais en vérité – et sans se référer aux héritiers de la « gauche communiste » maximaliste actuelle (qui les ignore) n’ont aucune base réelle révolutionnaire. Tout y est flou et flirte finalement avec les plus épaisses vieilleries gauchistes. Par exemple leur soit disant rejet du nationalisme est du pipeau, il suffit de lire comment ils l’argumentent (j’ai laissé les surlignés pour que vous puissiez aller directement consulter leur propagande): « Dès 1978, l'Union des combattants communistes, qui fut le creuset théorique du communisme-ouvrier, dénonçait le « mythe de la bourgeoise nationale » et l'inféodation du mouvement communiste aux luttes de libération nationales au nom de l'anti-impérialisme. Cette position de principe n'exclut pas, dans certains cas de figure, que les partis communistes-ouvrier puissent approuver telle ou telle revendication d'indépendance - notamment dans le cas de la Palestine, afin de couper l'herbe sous le pied des islamistes, ou encore, pour certains, du Kurdistan d'Irak. Donc il y aurait encore des « libérations nationales » révolutionnaires dans un capitalisme pour en défragmentation ; on verra que, pour les pays développés et la « lutte revendicative », ils restent très « nationaux ».
On attrape souvent les mouvances vagues et leurs sous-marins par la queue. C’est un pan de la secte lambertiste française qui les rejoint fin 2005 (fanas du gourou trotskien disparu S.Just), le Comité communiste internationaliste - Trotskyste (CCI-T) créé fin 2005 qui avait d’abord porté le nom de Fraction publique de ce comité, avant de se constituer en organisation indépendante. Il publie le bulletin Combattre pour en finir avec le capitalisme. Il continue de se réclamer du trotskisme et de l’héritage de Marx, Engels, Lénine, Trotsky, Luxemburg, Stéphane Just (Hi Hi !) (et Jean Dupont) ; il est en relation avec le Parti communiste-ouvrier d'Iran (PCOI), et a envoyé plusieurs délégués au congrès de ce parti tenu à Stockholm en mai 2007. Il est aussi en contact avec le groupe trotskiste espagnol Germninal, le groupe trotskiste allemand Initiative Marxiste. Il participe également à la tendance Front Unique de la FSU. Les hekmatistes font passer aussi « leur message » par la revue « Alternatives » sise au Québec où, accessoirement Dessaux fait fonction d’intervieweur.

Ecoutons d’abord le sous-marin hekmatiste Nicolas Dessaux, mais interrogé à son tour en France, nous expliquer cette étrange notion de « communisme ouvrier » avec des arguments plus fins que ceux du trostkysme classique et parfois très pertinents: « Le communisme-ouvrier moderne, en tant que courant politique distinct, est né au Moyen-Orient, au cours de la révolution iranienne et de la lutte contre la république islamique d’Iran, puis contre le régime de Saddam Hussein en Irak. Mais de nombreux militants ont, depuis plus de vingt-cinq ans, obtenu l’asile politique en Europe et y ont vécu, sans relâcher leur effort pour maintenir leurs réseaux clandestins en Iran, aujourd’hui publics en Irak. Mais, depuis longtemps, les partis communistes-ouvriers ont discuté de la question européenne. Mansoor Hekmat semble lui-même avoir considéré la construction européenne comme une opportunité pour la classe ouvrière. Lui qui fustigeait les élections et le parlementarisme, était favorable à l’intégration à l’Union européenne de la Suède, où il avait obtenu l’asile politique. Lors de la création de l’Euro, Soraya Sarabi a écrit un article pour expliquer que l’Union européenne affaiblissait les frontières, les nationalismes et facilitait les communications, donc ouvrait des possibilités nouvelles pour la lutte de classe. Donc, on peut dire que les communistes-ouvriers ont une approche positive de l’Europe. Il ne s’agit pas, loin de là, d’approuver la politique de l’Union européenne. Aujourd’hui, la plupart des politiques contre la classe ouvrière, les travailleurs et les chômeurs, sont décidées à l’échelle européenne, puis mises en application à l’échelle nationale, dans chaque pays selon un calendrier soigneusement échelonné pour éviter l’unification des luttes. Face à cela, la classe ouvrière ne dispose aujourd’hui d’aucun cadre de réponse approprié, même si on commence à voir des grèves européennes dans certains secteurs. C’est pourquoi il est important d’affirmer, dès le départ, la vocation européenne du communisme-ouvrier, y compris en termes organisationnels : c’est une manière de prendre en compte la situation réelle des travailleurs aujourd’hui, d’organiser la réponse au niveau même où se situent les attaques. On ne construit pas du jour au lendemain une organisation à échelle européenne, mais on peut dès le premier jour lui donner une perspective européenne. Séparés par des frontières nationales face à une bourgeoisie européenne unifiée contre nous, nous serons toujours défaits. Un mot d’ordre comme « sortons de l’euro » n’a pas de sens du point de vue communiste. C’est un slogan qui sonne bien aux oreilles des nationalistes, de gauche comme de droite, parce que leur programme, c’est l’indépendance économique, le développement du capital national et le protectionnisme, qu’ils l’assortissent ou non de réformes sociales. Mais en soit, être payé en drachmes, en pesetas ou en euros ne change pas grand-chose pour un salarié, et si l’État doit rembourser ses prêts, qu’il le fasse en telle ou telle monnaie ne change rien au fait qu’il va devoir restructurer, c’est-à-dire s’attaquer aux salaires… »

Laissons de côté cette invention de la « révolution iranienne » qui n’a jamais eu lieu, pour mettre en évidence qu’au début des années 1980, la petite bourgeoisie intellectuelle du tiers-monde n’avait plus grand-chose idéologiquement pour se consoler puisque le maoïsme a été lamentablement dissous dans les massacres de Mao sé Toung et des khmers rouges, et puisque les libérations nationales si chères aux trotskiens n’ont été qu’une série de tragicomédies sanglantes nullement émancipatrices pour le prolétariat de ces pays. Il ne leur restait plus qu’à se tourner vers cette sorte de « démocratisme luxemburgiste » qui allie activités charitables (associations solidarité Irak) pour la galerie et tout un maillage d’activités de type syndicaliste relayées par des discours politiques anti-staliniens. Cette mouvance a ainsi permis de redonner à manger aux derniers staliniens déconfis et à des trotskiens pressés de recycler une idéologie morte pour retrouver leur faconde de « dirigeants révolutionnaires ». Cette histoire de luttes européennes, reprise par les hekmatistes au vieux fond idéologique trotskien dégénéré, n’est qu’une extension bâtarde des luttes enfermées au niveau national : une grève indépendante de classe au Mexique nous intéresse mille fois plus qu’une journée d’action européenne syndicale à la même heure derrière des slogans creux. Nous n’attendons aucune nouvelle « révolution européenne » qui ensuite s’étendrait aux aires dites arriérées…

Mais revenons à ce débat sur la retraite avec le sous-marin hekmatiste. C’est le débat le plus fin, le mieux documenté et le moins stupide que j’ai trouvé sur le web et qui nous permettra de mieux mettre en évidence les impasses d’un tel « faux débat » et les limitations imposées par la gauche caviar à ses cercles concentriques gauchistes, syndicalistes et hekmatistes.Donc, sous le titre vague et stupide suivant : « Retraites : Il faut nous fonder uniquement sur nos besoins » les animateurs ont invité à débattre un certain Nicolas Dessaux, archéologue en la circonstance de l’histoire des retraites, dont il rappelle de très sérieuses données. Le titre choisi par « La Bataille… » est mauvais, indépendamment de la visée réelle de Stéphane Julien. Il faut toujours préciser des besoins de qui il s’agit ; ensuite la notion de besoins pour une catégorie aussi diversifiée que la retraite, où évidemment une partie des salariés est corrompue par ses avantages particuliers, ne vaut rien car la question des besoins est une question qui relève de la société communiste future (si elle a lieu et si elle n’est pas un remake brejnévien). Qui peut déterminer des « besoins humains » en général aujourd’hui ? Les ouvriers atomisés, les partis de la gauche caviar, deux intellectuels hekmatistes en débat ? On comprend en filigrane que, malgré quelques références au marxisme, le communisme est pour le porte-voix hekmatiste Dessaux, un étalon de mesure humaniste (et je n’ai rien contre l’humanisme) mais comparer comme il le fait à chaque discours les infamies capitalistes à ce que pourrait être le communisme, relève du prophétisme, car au fond on ne peut pas prétendre savoir ce que sera intégralement une société débarrassée du capitalisme.

2. OU LE SYNDICALISTE STALINIEN REPOINTE LE BOUT DE SON NEZ
Derrière le marchand de soupe syndicaliste, les vieilles solutions nationales, ou on peut mieux dire en estimant que l’esprit syndicaliste a toujours fait bon ménage avec l’esprit étroitement national. La critique de la dégradation des retraites passe pour Dessaux par une réaffirmation de la sainteté syndicaliste de base, à laquelle personne ne croit plus ni à une réincarnation du Shah d’Iran, mais il laisse entendre avec sa lyre syndicaliste, à la façon suiviste éhontée trotskienne que la faute en revient aux « directions » : « Dans sa boite, le militant syndical, la déléguée du personnel qui font bien leur boulot, sont des personnes respectées, parce qu’elles sont à l’écoute, parce qu’elles débrouillent des problèmes, sont là pour soutenir face à la hiérarchie, pour porter les revendications propres à la boutique. Beaucoup de gens se syndiquent pour ça, comme un témoignage de reconnaissance ou une garantie de soutien en cas de coup dur. Mais ça ne veut pas dire qu’ils vont se lancer dans la lutte dès que la direction syndicale le demande, et selon les modalités qu’elle a prévu. Là où n’existe pas une longue histoire de luttes, de combats collectifs, c’est le seul point de repère. Mais pour les revendications nationales, c’est autre chose. Mobiliser les syndiqués n’est déjà pas facile, dans ces conditions, alors mobiliser toute la boite, c’est une autre histoire. Pour ça, le minimum, ce serait d’avoir des perspectives claires à proposer. Demander au gens de perdre une journée de salaires tous les deux mois, à chaque journée d’action, sans avoir l’air d’être vraiment prêts à affronter le gouvernement, ce n’est pas très convaincant. Il y a un décalage évident entre les luttes de boites très radicales de ces dernières années, avec séquestrations, sabotages, menace de destruction de l’usine, d’un côté, et les manifestations sans enthousiasme sur la question des retraites. Les syndicats ont des propositions pour les retraites, mais pas de perspectives de luttes ».
Stupeur nous découvrons que nos « internationalistes hekmatistes » cachaient dans leur poche un autre catalogue, celui des « revendications nationales » ! On se demande quel système de retraite les travailleurs doivent défendre comme s’il existait un choix, par exemple celui des capitalistes, par capitalisation contre celui des prolétaires, par répartition (accolé au fameux mensonge kafkaïen de « charges patronales »). Le vis-à-vis de Dessaux veut lui un « programme revendicatif » au-delà des statuts… autant demander aux patrons un salaire égal pour tous ! Dessaux est un des rares (après moi) à dénoncer la retraite comme un ennui souverain, l’envers de la fin du turbin (mais pas plus ragoûtant) mais pour nous peindre un tableau de ce que serait le communisme… pas différent du discours sarkozien (et on remarquera le « dans UNE société » - et non pas LA société communiste mondiale - qui rappelle un certain socialisme dans un seul…) : « Dans une société communiste, on peut choisir son métier, se former, changer quand on ressent l’envie, changer de boite si on préfère l’ambiance, la méthode, ou tout autre critère. Le principe essentiel, c’est « De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». Donc, c’est à chacun de sentir s’il est fatigué, s’il a envie de s’arrêter de bosser par ce qu’il se sent trop âgé, ou de réduire son activité pour un rythme mieux adapté à ses possibilités physiques, à son endurance, à sa santé. Il n’y a ni raison d’empêcher quelqu’un de partir, ni de l’obliger à rester, et ça ne change rien au niveau de vie : la société doit subvenir aux besoins de tous ses membres. Si une personne trouve qu’elle a encore envie de travailler, parce qu’elle aime ça, parce qu’elle s’entend bien avec ses collègues, parce qu’elle n’a pas envie de faire autre chose, elle doit pouvoir le faire dans de bonnes conditions, en adaptant ses tâches. Et si elle trouve qu’il est temps de passer à autre chose, c’est son droit également ». Du Sarkozy pur en campagne électorale : vous êtes libre de travailler plus ou moins…
Lorsque nos debaters se posent la question d’une banqueroute de l’Etat, on en reste encore au niveau strictement national alors que LA CRISE SYSTEMIQUE GENERALISE PARTOUT LA MEME BANQUEROUTE ETATIQUE ET POSE LA QUESTION DE LA SIMULTANEITE DE REACTION DU PROLETARIAT UNIVERSEL ! Et de gloser sur les aides de secours des autres Etats (c’est en rester à l’exemple limité et maquillé de l’Etat grec), la possibilité de provoquer des élections pour arrêter grèves et émeutes, mais plus comique : la question du pouvoir : qui s’en empare ? Parce que le hekmatiste de service s’imagine que, en plein début de XXIe siècle, la question de la prise du pouvoir pourrait se poser en un seul pays, ou commencer par un seul pays ! Impossible ! Archi impossible ! Je ne suis ni prométhéen ni prophète mais si la crise ne pousse pas à l’effondrement SIMULTANE des structures d’encadrement et de bétification bourgeoises, l’insurrection ou prise du pouvoir, vous pourrez toujours vous faire votre cinéma virtuel avec. Plus drôle encore, Dessaux, néanmoins conseilliste-ouvriériste, esquive la question du parti pour nous assurer qu’il n’y aurait que deux protagonistes en lutte : « soit la classe ouvrière s’en empare (du pouvoir) soit une autre fraction de la bourgeoisie le reprend »). Sous le conseilliste irakophile perce le menchevik sarkozien !
En prétendu connaisseur de l’histoire des réformes dans la classe ouvrière, notre hekmatiste de service assure que la retraite: « Oui, c’est une conquête de la lutte des classes, mais il faut comprendre dans quelles conditions, et pourquoi la bourgeoisie les a accordé, comme elle a accordé d’autres réformes : pour briser la révolution, pour briser l’esprit révolutionnaire de la classe ouvrière ». Tout cela est faux. La bourgeoisie montante a dû d’abord reprendre et centraliser les anciennes associations de charité féodale pour faire face à l’explosion d’une main-d’œuvre moderne précocement usée dans ses bagnes industriels en concédant aux prolétaires une très courte retraite-repos. La bourgeoisie moderne n’est jamais parvenue par contre à faire croire que la retraite en fin de vie était devenue le bonheur retrouvé.
Les interlocuteurs du débat de « La Bataille… » se posent la question de revendications unifiantes. On est dans le domaine du prophétisme à la façon des maximalistes ringards du PCI (bordiguiste) et du CCI (chirikiste + fraction ventouse). Il est vrai que l’état de la classe ouvrière est peu reluisant concernant un éventuel (et totalement hypothétique combat commun sur « les » retraites) : division très solide public/privé, encore plus scandaleuse la division actifs/précaires, ou encore retraités privilégiés (y en plein surtout cadres) et jeunes largués, etc. Au lieu de sortir de cette ornière de cumul de divisions parfaitement orchestrées par l’Etat, nos interlocuteurs et intervieweurs de la vedette hekmatiste, ne vont nullement raisonner profondément, en n’hésitant pas à reconnaître qu’il s’agit bien de corruption d’importantes couches de la classe ouvrière et qu’une certaine « aristocratie ouvrière » est constituée de bandes de salauds privilégiés, pour en conclure que, sur ce terrain, il n’y a rien à attendre comme lutte inquiétant l’ordre en place ; au lieu de ces constats ils en concluent que la défense de la retraite à 60 ans reste « un repère important » ! C'est-à-dire qu’ils se couchent devant la principale requête démobilisatrice, désarmante et mensongère de la gauche caviar et de ses petits syndicalistes gauchistes à la Besancenot ! La « retraite à 60 ans » restera un bon truc électoral jusqu’en 2012 avec banderoles, pancartes et tréteaux trotskiens et hekmatistes !
Ou pour parodier un gimmick chilien lamentable : « Uni à 60 ans, jamais le peuple il sera vaincu ! ». Et ta sœur ?