"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

samedi 22 mai 2010

LE PROGRAMME DE NATHALIE ARTHAUD


Sous l’églantine le vieux programme stalinien…

La fête de Lutte Ouvrière bat son plein par chance avec un temps magnifique à Pentecôte pratiquement jamais vu à Presles depuis quasiment l’intronisation de cette fête de l’Huma bis. Vu la gravité de la crise économique, on reprend au sérieux les termes « ringards » de « lutte de classes », de « parti révolutionnaire » et de « révolution ». L’occasion pour certains sur les forums de Libération de nous ressortir un coucou à la « travailleuse Arlette » et un coup de chapeau à un groupe « qui veut l’unité des travailleurs », « qui est contre les patrons et les capitalistes ». J’ai répondu à ces insanités naïves et simplistes, mais la meilleure réponse à ces faux communistes que sont les trotskiens est encore et toujours de rappeler leur trajectoire dont ils, depuis l’après-guerre surtout, s’efforcent d’effacer systématiquement les traces de complicité avec la bourgeoisie de l’Est et de l’Ouest. Ainsi LO a tout fait pour faire disparaître ce qui témoignait (affiches et articles du journal) de ses appels à voter Mitterrand. LO, qui a ses blogueurs envoyés en mission (même des anars !) fait dire sur les post qu’elle est l’organisation la plus démocratique puisqu’elle autorise les groupes divergents à venir débattre. Gros vilain mensonge ! Depuis une dizaine d’années, après avoir chassé le CCI, puis il y a deux ans le PCI bordiguiste (qui refusait de retirer sa brochure sur Auschwitz), il n’y a quasiment plus de débats géants comme par le passé. Les stands de frites et de jeux gogols ont envahi l’espace champêtre. Les livres de la bibliothèque au château sont soigneusement sélectionnés et tout ce qui critique le trotskysme est soigneusement expurgé. Une fête de l’Huma bis, avec paradoxe comique un stand réservé à une autre secte, le PCF, ou plutôt ses oppositionnels internes. Mais tous ces résidus du stalinisme et de son bâtard le trotskysme c’est mort pour le prolétariat, même si quelques gogos découvrent pour la première fois la ducasse trotskienne (dont j’ai supporté trop longtemps la corvée d’avoir à y participer comme responsable du CCI) c’est creux et du bla-bla. En plus, Arlette étant retraitée (toujours éditorialiste) LO a dévoilé l’arrière-ban de son bureau politique en collant comme secrétaire générale une petite prof – ce qui fait pas vraiment « prolétarien » - mais confirme que la secte a toujours été dirigée par une camarilla de profs et de fonctionnaires de la petite bourgeoisie syndicale (comme chez les groupes maximalistes, dits naguère « ultra-gauches » avant que les anars ne récupèrent le qualificatif avec l’aide de la police. Ce petit extrait de mon ouvrage de 2002, mettra je l’espère les yeux en face des trous aux néophytes qui ont de la compassion pour une vieille secte néo-stalinienne. N’oubliez jamais, quand on vous dit « parti révolutionnaire », demandez « quel programme SVP ? ».

"...Au cours des années 1984 à 1986, jusqu’au retour de la droite au gouvernement, le coup d’épaule des trotskiens au gouvernement Fabius est indéniable. Ils s’assument comme cinquième roue du carrosse. Le 25 septembre 1984, le bureau politique de la LCR avait envoyé une lettre ouverte à la direction de Lute ouvrière proposant encore un rapprochement des deux organisations pour lutter ensemble contre l’austérité et soutenir la « révolution nicaragayenne ». La réponse de la phalange LO avait été fraternellement lucide mais sèche et étroite comme le nombre de leurs militants : « Pour le moment, ni vous ni nous, ni séparément ni réunis, ne sommes crédibles au sein du mouvement ouvrier organisé. Nous n’avons jamais fait la preuve nulle part que nos idées valaient mieux, étaient plus efficaces, avaient plus de poids auprès des travailleurs que celles défendues par les directions des appareils en place. Même lorsque ces directions sont déconsidérées (et elles sont loin de l’être à l’heure actuelle), cela ne suffit pas pour que nous, nous soyons considérés (…) Il faut comprendre qu’additionner nos forces ne les multipliera pas. »
LO ne jette qu’un os à ronger à la proposition de rapprochement de la LCR, outre l’organisation commune de la fête de 1985 (où les militants de LO feront encore tout le travail de préparation), venir participer mensuellement aux réunions du Cercle Léon Trotsky à la Mutualité : « où nous pourrions par exemple développer chacun nos positions sur un même sujet lors de la même réunion. » Le BP (bureau politique) de la LCR prendra acte de l’impossibilité de travailler en commun en déclinant toute participation aux cercles Léon Trotsky, fort diplomatiquement sous prétexte d’agenda chargé, sachant le contenu tarte et le déroulement stalinien de ces meetings scolaires à la Mutualité.

L’extrême-gauche pabliste et libertaire anime donc derrière le PS les protestations contre le « danger Le Pen » qui a semé l’horreur en France en frôlant les 15% lors d’une élection partielle à Dreux. Leur agitation en opposition critique permet de laisser passer les licenciements massifs. Le gouvernement est d’ailleurs désolé de ces licenciements dûs aux seuls patrons « irresponsables » et s’en sort relativement bien en faisant voter la loi sur les 39 heures et la cinquième semaine de congés payés. Les trotskiens surrenchérissent par rapport à ces réformes pour plaider qu’ils ne sont pas complices. De retour au gouvernement deux années à peine, après, la droite va redevenir la cible prioritaire de l’extrême-gauche et lui permettre, en particulier lors de la grève des cheminots et des agents hospitaliers, de jouer pleinement le rôle de frein social réservé jusque là aux grands syndicats.

Cependant, sur le plan électoral, les trotskiens vont de revers en revers. Il est plus facile de saboter une grève que de retrouver une crédibilité politique à l’échelle du pays. Les trotskiens se présentent en ordre dispersé à l’élection présidentielle de 1988. Lambert tente le coup pour sa gloire personnelle. Le pauvre vieux fait peine à voir au point qu’on pense que son charisme phalangiste est bon pour les maisons gériatriques. Krivine se met au service de l’ex-stalinien Juquin. Arlette va seule au combat, forte de son capital antérieur de voix « populaires ». Le Front National sort en troisième position, pas seulement favorisé par l’insécurité des banlieues mais aussi par l’inquiétant programme d’extrême-gauche qui lui était opposé. La propagande électorale du groupe Arlette&Hardy va nous permettre de mesurer la principale différence sémantique entre Lutte ouvrière et le parti de Maurice Thorez et Georges Marchais. Les deux satrapes brejnéviens ayant trop abusés dans leurs programmes successifs du futur « radieux » - très « présent » en URSS - Lutte ouvrière en est réduit à la forme la plus minable de la grammaire, l’imparfait, car conjuguer à l’imparfait signifie, outre ne pas être sûr de soi, qu’on ne sait pas où l’on va.

En 1988, Lutte ouvrière publie seize ans après la LCR, son programme. Ce programme fait une grossière concession au culte de la personnalité, puisqu’il est présenté comme l’ouvrage laborieux d’Arlette Laguiller, la pauvre employée de banque plusieurs fois candidate malheureuse aux élections. Cela fait déjà plusieurs années que LO a fidélisé une partie des électeurs de gauche à une figure reconnaissable, relativisant le caractère obscur de la phalange LO. La voix des « travailleuses et de travailleurs » est en outre hebdomadairement personnalisée, vedettarisée par les éditoriaux du journal du même nom, même si ceux-ci comme le pensum en question, sont rédigés ‘collectivement’ par les intellectuels-nègres du comité central inconnu.
Parcourons donc ce nouveau programme intitulé sobrement : « Il faut changer le monde ». Autant les programmes thoréziens étaient une série de « sera » et « il faudra », comme ceux du ‘programme commun’ , autant Lutte ouvrière laisse entendre que la révolution sera facile et aussi inéluctable que 1789, mais n’étale qu’une série de « serait » pour la mise en pratique, intonation incantatoire voire suppliante qui est caractéristique de ses commentaires d’actualité et qui permet de ne jamais se prononcer clairement.
« Eh bien, le pouvoir aux mains des travailleurs, ce ne serait pas seulement le moyen d’en finir avec la propriété privée des grands moyens de production (…) Ce serait aussi une tout autre conception de l’Etat, et de ses rapports avec les citoyens (…) Le pouvoir ouvrier ce serait le remplacement de la sinistre bâtisse actuelle (…) Le pouvoir ouvrier ce serait l’accès de tous les courants d’idées aux grands moyens d’information (…) Le pouvoir ouvrier, ce serait la possibilité pour les électeurs de révoquer en cours de mandat l’élu. »
Le programme de LO, affiché ci-devant par la citoyenne râleuse Arlette, devient de plus en plus sinistre par l’encadrement de la population qu’il prévoit, assez proche finalement des objectifs initiaux des khmers rouges et du stalinisme triomphant - dont, malgré ses critiques ‘anti-bureaucratiques’, LO défend l’existence à chaque page. En une formule lapidaire et refroidissante, le rédacteur collectif de LO croit rassurer sur leur changement du monde : « Le pouvoir ouvrier, ce serait au contraire les commissariats et leurs dossiers ouverts à toute la population » : tout ce qui est stocké comme informations sur les criminels dans les commissariats pourrait donc être jeté en pâture au tout venant ? Prévenant cette objection les précepteurs d’Arlette apportent une précision, au conditionnel toujours, qui n’est pas plus rassurante : « Il y aura peut-être besoin d’une police et d’une armée pendant des années après que la classe ouvrière aura pris le pouvoir entre ses mains, parce que tous les maux engendrés par le capitalisme ne disparaîtront jamais du jour au lendemain. Mais il y a d’autres solutions qu’une police professionnelle, qu’une armée encadrée par des officiers et des sous-officiers de métier, échappant l’une et l’autre au contrôle des citoyens. Pourquoi les tâches de la police ne seraient-elles pas exercées par des milices de citoyens ? Il y aurait des "bavures" ? Peut-être, mais sans doute pas plus qu’aujourd’hui, où on confie des armes à des policiers… » (p.140).
Il y a là toute une conception policée de la réorganisation de la société, qui conserve même les commissariats ou, avec ce perpétuel conditionnel d’une pensée phalangiste, qui esquive sans cesse pour masquer sa profonde parenté avec le stalinisme et sa pauvreté idéologique, propose « des milices de citoyens », de « quartiers », qui est étrangère à l’esprit et à la réalité de l’armement du prolétariat dans la période de transition envisagée classiquement dans le mouvement ouvrier pour l’après-révolution. Mais, mettons-nous à l’époque à la place de lecteurs attentifs de ce programme faussement rédigé par une potiche, et de lecteurs éveillés, d’ouvriers conscients qui préféraient encore vivre plutôt en France qu’en Union soviétique, même en votant pour le PCF. Il nous revient la remarque d’Engels : « Le programme officiel importe moins que ses actes ». Avant le lancement de son ouvrage-programme, Arlette avait été chargée de déclarer pourtant les conditions de sa candidature avec un mot d’ordre simpliste entre tous, « barrer la route à Le Pen », car les électeurs ne lisent pas plus les programmes que la collection de professions de foi envoyées avec les bulletins de vote.
Arlette Laguiller fait un de ses plus mauvais scores. La déception est d’autant plus cuisante que, les mois précédents les élections, les éditos de la célibataire trotskienne étaient pleins de lendemains électoraux qui ‘chanteraient’, qui ‘verraient’ nombre d’élus trotskistes. Le courant représenté par LO ‘ferait’ la différence avec les frères ennemis partis en ordre dispersé à la bataille électorale. En attendant les militants de LO avaient sué sang et eau pour coller à hue et à dia dans l’hexagone bien plus d’affiches que d’habitude, fouettés par des éditos qui se hasardaient parfois à utiliser le futur au lieu de l’imparfait. La déconvenue électorale n’était plus qu’un passé composé piteux face à la montée du Front National, favorisée par la gestion capitaliste de la gauche, la dispersion des candidats d’extrême-gauche avec un programme inquiétant et en troisième lieu seulement l’insécurité. Cet échec électoral trotskien est un contre-coup du soutien de l’extrême-gauche à la première phase du règne de Mitterrand. Mais, quoi de plus simple que de transformer le dégoût des électeurs prolétaires en démoralisation : « Cela reflète un recul du poids politique de la classe ouvrière en général (…) (la gauche au pouvoir) a démoralisé une partie des travailleurs qui ont perdu confiance dans leurs propres forces, dans les idées de la gauche. » Et pour camoufler le tour de passe-passe, Arlette en conclut avec mépris que c’est la faute aux travailleurs eux-mêmes : « Jusqu’à présent, aucun des mouvements de la période récente n’a été capable de franchir les limites que patrons et gouvernement ont fixées à l’évolution des salaires. » Quand les ouvriers votent pour les trotskiens ce sont de bons ouvriers, quand ils ne votent pas pour eux ce sont des ouvriers « démoralisés » et « impuissants ».
En août 1988, les amis d’Arlette font aussi la leçon aux ouvriers polonais, bien qu’ils ne lisent pas leur journal simplet. La répression du général Jaruzelski en Pologne est bien loin, Walesa ne va pas tarder à être élu président, aussi les amis d’Arlette peuvent faire de la surenchère sur les frères ennemis qui exigent la reconnaissance de Solidarnosc par l’Etat stalinien polonais : « Cette reconnaissance pourrait devenir un piège pour la classe ouvrière, un moyen de faire jouer officiellement aux dirigeants du syndicat le rôle de pompiers, au nom de l’ ‘intérêt national’. » Fallait-il attendre la reconnaissance officielle de Solidarnosc pour montrer aux ouvriers que ce syndicat ne valait pas mieux que la CGT française ?

(extraits de "Les Trotskiens" (1968-2002) histoire véridique du trotskisme en France,toujours disponible.

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