"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mercredi 16 décembre 2009

Une polémique édifiante dans les locaux du Nouvel Obs

« MISSION IMPOSSIBLE »

L’IMPUISSANCE DES POLITIQUES BOURGEOIS ET LE RETOUR DU DANGER PROLETARIEN

Jean-Paul Besset (Europe Ecologie)[1] face à Pierre Moscovici (PS)[2]

«Vive la sociale» ou «sauvons la planète» ?

Taxe carbone contre pouvoir d'achat, croissance contre décroissance, progressisme contre environnementalisme... Entre écologistes et socialistes, l'échange est vif

Le Nouvel Observateur. - Vous avez politiquement grandi l'un et l'autre dans la religion du progrès servie par une croissance éternelle et une nature inépuisable. Et pourtant, à gauche, René Dumont, Edgar Morin, André Gorz ou... Serge Moscovici tiraient très tôt la sonnette d'alarme sur l'inévitable crise de ce modèle trahi par la finitude des ressources. On y est. Pourquoi un tel retard à l'allumage ?

Jean-Paul Besset. - Ce constat-là vaut tout autant pour la gauche que pour la droite. Ces deux grands courants idéologiques sont issus, pour aller vite, de la même matrice : la révolution industrielle. La grande ligne de clivage, c'était la répartition des fruits de cette croissance. Et c'est l'honneur de la social-démocratie d'avoir su utiliser cette richesse pour développer la justice sociale et forger les bases de l'Etat-providence. Mais quand cette manne de la croissance conçue comme une vis sans fin vient à disparaître sous l'impact de la crise écologique, la social-démocratie, qui fut la grande aventure de ces deux derniers siècles, arrive à bout de souffle.

Pierre Moscovici. - Vous semblez considérer que le clivage gauche-droite n'est plus pertinent. Et moi, je continue de penser qu'il l'est, peut-être plus que jamais face à un président liquidateur comme Nicolas Sarkozy ! La question écologique est certes essentielle, mais je ne crois pas du tout que la question sociale soit éteinte. Je note d'ailleurs que les pères de l'écologie qui étaient évoqués, vous avez cité à juste titre le mien, se situent tous dans le champ culturel de la gauche. Je reconnais bien volontiers que le manque d'appétence des socialistes pour l'approche écologique s'explique par leur passé ouvriériste, productiviste ou étatiste. L'avenir, aujourd'hui, je suis d'accord, c'est la social-écologie. Mais pas le dépassement de la gauche et de la droite.

J.-P Besset. - Ne faites pas comme si l'écologie politique ignorait la question sociale, dont vous seriez propriétaire ! Moi aussi, j'ai la question sociale rivée au coeur, mais elle est désormais indissociable de la question écologique. Les inondations, les sécheresses, les cyclones, les mers qui se dépeuplent, les forêts qui reculent et les déserts qui avancent, ça concerne quand même 60% de la population mondiale. La vraie question sociale contemporaine, massive, intolérable, elle est là !

N. O. - Et sur la croissance, verte ou grise, forte ou faible, vous pouvez trouver un langage commun ?

P. Moscovici.Ce dont je suis sûr, c'est que nous avons toujours besoin de croissance. Prenons l'exemple de la France : il y a 3,7 millions de chômeurs, des déficits publics de 140 milliards d'euros, une dette publique équivalente à 82% du PIB. Je ne sais pas comment nous pouvons résorber ces gouffres financiers, investir dans des programmes écologiques lourds et réduire le chômage sans un taux de croissance significatif. Tout le défi est là : il faut à la fois réguler les dégâts considérables dus au réchauffement climatique tout en assurant notre excellence industrielle.

J.-P. Besset. - Je vous dis ça gentiment mais vous rabâchez ! Opposer la bonne croissance et la mauvaise croissance, c'est de l'imposture, et ça évite de poser les questions de fond ! Nous sommes dans un univers fini. On ne pourra assurer la durabilité économique - process industriels économes en énergie, développement des transports collectifs ou isolation thermique, extension du bio, etc. - que si parallèlement on engage des politiques de décroissance. Il faut oser le mot ! Reconnaître l'évidence. Prenons un exemple : l'automobile. Son rôle dans l'économie et l'imaginaire est très puissant. Mais laisser croire qu'on va remplacer chaque voiture polluante par un joli petit véhicule électrique, c'est mentir aux gens.


P. Moscovici. - Vous m'accusez de ne pas innover, mais j'ai l'impression que vous régressez ! J'ai le sentiment d'entendre parler les écologistes fondamentalistes des années 1970. Sur l'automobile, il se trouve que je suis député et président d'une communauté d'agglomération, celle du Pays de Montbéliard, où se trouve la plus grosse usine de France : PSA à Sochaux. J'essaie de faire ce que vous préconisez : généraliser les écoquartiers, les alternatives à la voiture, privilégier les liaisons douces. Et je pense, moi aussi, qu'on ne produira pas demain plus de voitures. Mais ce qu'on fabrique là-bas, ce sont les véhicules des mobilités de demain. Je ne crois donc pas du tout que, pour penser ce nouveau modèle de développement, il faille épouser les thèses de la décroissance ou refuser l'idée que l'industrie soit un substrat essentiel de l'économie et du progrès social ! J'observe d'ailleurs que l'objet de Copenhague n'est pas la croissance ou la décroissance, mais la réduction des gaz à effet de serre. C'est de ça dont il s'agit. Ne jetez pas le bébé avec l'eau du bain !

J.-P. Besset. - Mais enfin, limiter les gaz à effet de serre, c'est-à-dire l'usage des hydrocarbures, du gaz et du charbon, c'est décroître ! Le grand banquet de la nature à partager entre les riches et les pauvres, cet horizon d'illimitation sur lequel on a construit la vision du bonheur, c'est fini. Sur la question de l'étalement urbain, de la production chimique, des flux tendus de marchandises, des consommations énergétiques, vous savez qu'on doit décroître. Quand vous citez vos actions d'élu régional, je dis bravo ! Mais alors, allez au bout : faites-en l'axe d'une stratégie nationale. La transformation écologique de la société, c'est convoquer l'innovation technologique pour aller vers le mieux plutôt que vers le toujours plus. Vers l'être plutôt que vers l'avoir. C'est une question de civilisation.

N. 0. - Evoquons la taxe carbone : les écologistes ont un discours bien rodé mais abstrait sur la préservation à long terme des intérêts des ménages les plus exposés aux crises énergétiques. Quant au PS, il donne l'impression d'être très divisé sur le sujet...

P. Moscovici. - Non, je dirais presque que, pour une fois, le PS est unanime sur le fond : il se prononce pour un prélèvement plus important que celui proposé par le gouvernement, au moins équivalent au montant proposé par la commission Rocard. Avec l'idée que cette contribution doit faire l'objet d'une redistribution en fonction des revenus ou des distances parcourues entre domicile et travail. Telle qu'elle a été votée par la majorité actuelle, nous jugeons la contribution climat-énergie écologiquement insuffisante et socialement injuste.

J.-P. Besset. - Cette idée de contribution climat-énergie est née dans la mouvance écolo, et je vous fais remarquer au passage que c'est une mesure pour faire décroître la consommation d'énergie. Comme l'a été le protocole de Kyoto et comme va l'être, je l'espère, la conférence de Copenhague. Mais vous voyez, Pierre Moscovici, au fond, vous pensez qu'il n'y a que la représentation politique qui ne changera pas, qu'il y aura toujours la même gauche et la même droite. Nous, à Europe Ecologie, nous disons que tous ceux qui pensent que l'écologie prime sur l'économie sont les bienvenus.

P. Moscovici. - En vous écoutant, j'entends une forme de prophétisme marquée par le refus du progrès. Eh bien, je vous dis que ce n'était pas là une inspiration féconde pour le socialisme d'hier et que ce ne l'est pas davantage pour celui de demain. Moi, j'assume que le socialisme démocratique soit un réformisme. C'est d'ailleurs le même sens du compromis qui permettra de trouver, je l'espère, une solution collective à Copenhague sur le climat. Pour autant, je n'ai pas renoncé à l'idée que le progrès soit une idée noble. Je ne considère pas ringards les ouvriers qui dans ma circonscription ne se préoccupent pas seulement de ce qui arrivera en 2100, mais d'abord de leur pouvoir d'achat et de leur emploi ! Il est exact que nous allons arriver au pic de la production pétrolière et que nous devons donc limiter la consommation des énergies fossiles. Mais ça ne veut pas dire que l'avenir soit voué à la récession et au chômage de masse. Pourquoi, au nom de l'écologie, ignorer les règles de l'économie ? Dernière remarque : je ne pense pas que vous représentiez la position de tous les éco- los français. Socialistes et Verts dirigent ensemble des exécutifs dans les communes ou les régions.

J.-P. Besset. - Deux réponses. D'abord, les taux de croissance plus ou moins consolidés ces dernières années n'ont pas empêché la progression du chômage et de la précarité. Le PIB est un indicateur qui nous a mis dans le mur. Nous proposons de créer, nous, de nouveaux emplois en reconvertissant l'économie. Ensuite, sur le plan politique, oui, Europe Ecologie a pour ambition de sortir du jeu traditionnel. L'écologie n'est plus une force d'appoint mais une proposition centrale. Ce qui compte, ce n'est pas de construire des majorités par rapport aux oripeaux du passé, mais en fonction d'un projet. Pour les régionales par exemple, l'enjeu, c'est comment faire 26 écorégions.

P. Moscovici. - Entre nous il y a moins de différences que vous ne le dites. Je ne suis pas pour un productivisme échevelé et, je le répète, la question écologique est centrale. Mais attention, les écologistes ne se situent pas dans le ciel des idées. Et s'ils le croyaient, ce serait une extraordinaire régression ! Nous pouvons et nous devons donc nous rejoindre. C'était possible hier, ça doit l'être demain.

ET L’AVIS DU CONSULTé DE SERVICE

Le complice des va-t-en guerre, Cohn- Bendit qui est le consultant chouchou des médias est « consulté » sur ce débat troublant , et confirme que les politiciens écolos sont bien méprisables et complètement dépassé par la dangereuse accélération de l’histoire qui repose brutalement la confrontation, non mythique, des classes.

« Ces réactions, et même la relative agressivité d'un homme a priori intelligent comme Pierre Moscovici, sont éloquentes. Je suis frappé par l'incapacité du vieux logiciel social-démocrate à comprendre qu'au coeur de la question sociale se trouvent aussi les inégalités écologiques : il y a ceux qui peuvent choisir ou non de prendre leur voiture, d'habiter plutôt ici que là, de manger sainement ou non, d'échapper aux cancers professionnels... Arc-boutés sur la figure mythique du travailleur, les socialistes n'arrivent pas à penser en dehors du productivisme, et n'ont jamais été capables de faire émerger dans leurs rangs de réelles figures écologistes. En fait, le PS a toujours méprisé les écolos et espéré pouvoir nous confiner à la défense des petits oiseaux ».



[1] Jean-Paul Besset :Député européen, proche de Nicolas Hulot, et auteur de «Comment ne plus être progressiste... sans devenir réactionnaire», Fayard.

[2] Pierre Moscovici Député du Doubs, chargé au PS d'un nouveau modèle de développement, et auteur de «Mission impossible ? Comment la gauche peut battre Sarkozy en 2012», Le Cherche Midi.

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