"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

dimanche 13 janvier 2008

LES IDEES REVOLUTIONNAIRES NE SONT LA PROPRIETE DE PERSONNE

(suite de l’article : La revendication et la grève politique)


Plus que tout autre, Marc Chirik a dénoncé de façon permanente les travers de la petite bourgeoisie qui ont accompagnés jusqu’ici tout le mouvement révolutionnaire, voire l’ont gangrené ou lui ont fait perdre sa spécificité (mille exemples éclairants dans ses ultimes textes in Marc Laverne, tome II, toujours très demandé dans plusieurs pays alors qu’il est épuisé et qu’on est obligé de faire circuler en format numérique, même Google est intéressé ! Ohé éditeur moins ignare que les autres !). La petite bourgeoisie retombe toujours dans l’idéalisme et a du mal à se rendre compte comment fonctionne la classe ouvrière. Elle encule souvent des mouches abstraitement et avec son impatience coutumière sans réaliser ce que le mouvement lui-même déroule sous ses yeux. Sur le lien, ténu et non automatique des revendications immédiates et du passage à la lutte politique décisive, on relira avec profit le compte-rendu génial de la grève générale à Marseille en 1944 par Marc (in Bulletin interne de la Gauche communiste internationale n°6, juin 44, dans le tome I pour ceux qui ont encore la chance d’en posséder un exemplaire). Sur cette question du lien entre quête immédiate et but politique, je vous livre ci-dessous la méthode employée par Marc pour résoudre la quadrature du cercle concernant les revendications immédiates des chômeurs ; cela se trouve dans le tome II pour une discussion de l’année 1980 :

« Le seul débat concevable aujourd'hui est de savoir comment intégrer les spécificités de cette catégorie (les chômeurs) de la classe dans la lutte générale de la classe, de savoir quelle peut être la forme d'organisation et de luttes de ces ouvriers en dehors des usines, et le contenu concret de leurs revendications immédiates les reliant à la lutte générale de la classe, immédiate et finale.
C'est à ces préoccupations que répond le Manifeste contre le chômage de la section en Espagne, et à ce titre il reste un modèle pour tout le C.C.I..
2) Il ne nous appartient pas d'établir une "plate-forme" de revendications, pas plus pour ce qui est des chômeurs que pour ce qui est des ouvriers au travail. Nous ne sommes ni des gauchistes-autonomes, ni des bordiguistes, ni des trotskystes qui se plaisent à fabriquer des "Programmes de transition".
Ce qui nous incombe, c'est:
- premièrement soutenir inconditionnellement toute lutte des ouvriers au travail ou hors du travail pour la défense de leurs intérêts immédiats sur un terrain de classe, se gardant de toute démagogie et de toute surenchère du type du FOR,
- deuxièmement veiller à ce que les luttes ne s'enferment pas dans le catégoriel (professionnel) ni localiste,
- troisièmement à oeuvrer pour leur extension et généralisation maxima et leur auto-organisation,
- quatrièmement à lier ces luttes (et dans ces luttes) aux problèmes généraux historiques de la classe, à sa finalité et à ses butes (lutte contre les menaces de guerre et pour la transformation révolutionnaire de la société: la révolution socialiste).
Nous n'avons ni recettes, ni panacées à offrir mais nous devons nous efforcer, au sein de la lutte et en la soutenant, de donner le cadre général de son développement.
3) C'est avec force et raison que le Manifeste insiste que la lutte et les revendications des chômeurs ne doivent jamais apparaître comme une requête de charité, mais comme une lutte contre les conditions de misère que leur impose l'Etat capitaliste. Les chômeurs ne quémandent pas mais exigent de l'Etat la satisfaction de leurs revendications immédiates. Ils ne demandent pas "du travail", mot d'ordre réactionnaire et par-dessus le marché utopique car irréalisable par le capital en crise. Ce qu'ils exigent, c'est que le Capital (et son Etat) porte toutes les conséquences de cette crise dont il est le seul responsable; les prolétaires au chômage (comme ceux encore au travail) refusent de subir ces conséquences. Et c'est encore avec raison que le Manifeste affirme que la satisfaction de ces exigences ne peut être obtenue que par "la lutte sans merci, l'unité de tous les prolétaires".
4) Cependant, quand le Manifeste propose comme "unique moyen" dans la lutte contre le chômage "la grève générale" ou lance pour conclusion le slogan "Contre le chômage : grève générale!", il nous semble qu'il quitte la terre ferme de la réalité concrète de la lutte pour de la "phraséologie révolutionnaire".
Ce n'est pas pour rien que la "grève générale" faisait partie de l'arsenal de la phraséologie pseudo-radicale des anarchistes et anarcho-syndicalistes qui en ont fait une panacée. Très rares sont les grèves générales, dans la longue histoire de la lutte du prolétariat, et plus rarement encore ont-elles été le point de départ d'un développement révolutionnaire (voir l'expérience de la révolution russe et allemande). Le mot d'ordre de "Grève Générale" a quelque chose d'abstrait, de statique, de "préparé d'avance" et décrété un beau jour (par qui?). Dans ce sens, ce mot d'ordre sonne creux, utopique, et peut parfaitement être récupéré et utilisé par tous les tenants du syndicalisme. Nous préférons de loin les appels à la "Grève de masses" de Rosa qui exprime mieux la tendance réelle, dynamique de la lutte. »

On est hélas loin d’une telle méthode avec le suivisme invraisemblable et l’interclassisme (confusion du rôle des militants et des étudiants) qui ont prévalu au long de la brève grève des transports. Pauvre Marc, comme il doit trépigner dans ses cendres, lui qui, en phase terminale du cancer, avec toute sa lucidité, nous écrivait :
« Nous avons toujours défendu l'idée que nos analyses ne sont pas des "vérités" éternelles, qu'elles peuvent être partiellement, et même complètement erronées. C'est ainsi que nous nous donnons la possibilité de vérifier la validité de nos positions, et au besoin de les corriger. Mais pour cela, il ne suffit pas que tout d'un coup, on énonce des idées qui viennent de vous passer par la tête. Nos positions reposent sur des analyses mûrement élaborées et qui ont nécessairement des implications politiques sur nos activités et sur notre intervention. Pour mettre en question une position importante, il faut opposer une autre analyse et non des fantaisies improvisées ». MC (4/09/1990)

CONTINUITE OU DISCONTINUITE ?

Dans l’immédiat après-guerre, Marc démontre que la continuité organisationnelle est du bluff, en étudiant successivement les dissolutions de la première Internationale mais aussi de la Ligue des communistes, comme la disparition du mouvement Chartiste (p.263 du Tome II, ‘La tâche de l’heure…’, Internationalisme n°12). Par contre il théorise faussement le repli initié par Marx et lui fait dire qu’il se consacre à « des tâches plus fécondes… la formation des cadres », ce qui est encore une concession à la continuité comme si elle était formelle alors qu’en vérité tous les meilleurs militants sont dispersés et n’entretiennent qu’une correspondance ponctuelle avec Marx ou entre eux. Cette carence signe aussi l’échec du projet de Marc Chirik, non seulement de fonder la nouvelle Internationale de son vivant, mais même d’armer théoriquement ses héritiers présumés. Marc et le CCI, c’est en plus petit comme Lénine et la révolution russe, on ne sait pas bien (s’ils avaient survécu) s’ils auraient empêché la décadence du mouvement. Dans les années 1960, il est pourtant résolument contre la théorie de la continuité organique, dans le cadre d’Internacionalismo où il dit « nous avons toujours combattu cette stupidité bordiguiste » (cf. p. 439 du tome I).

A la veille de sa mort, s’il évoque la continuité, celle-ci est organisationnelle ; il consacre ses toutes dernières forces à passer le témoin à cette organisation dont il a été le Saturne et qui a été le couronnement de toute une vie. Mais il est terriblement lucide et il met en garde : « …le dilemme qui nous est posé est: ou nous serons dignes d'être cette continuité, ou nous allons devenir des parasites de ce mouvement, devenir une entrave supplémentaire pour le prolétariat dans son effort pour se donner les organismes dont il a besoin pour faire triompher son destin historiquement déterminé. » MC (4/09/1990, hôpital Tenon)

« …Une telle défaillance, une telle faiblesse de l'ensemble du C.C.I. restant figé sur d'anciennes questions et de vieux débats, se transforme en une véritable entrave pour suivre et comprendre l'évolution de la situation. Poursuivre ce chemin voudrait dire que le C.C.I., d'avant-garde qu'il est toujours, devient l'arrière-garde du prolétariat.
Nous avons toujours insisté sur le fait que l'organisation révolutionnaire secrétée péniblement par la classe ne porte aucune garantie assurant et justifiant son existence et cela, non seulement par un processus de dégénérescence politique, mais sa perte peut aussi se produire par des incompréhensions et le fait de ne pas être à la hauteur de l'évolution des évènements et des situations. Dans ce cas, la classe se trouvera obligée de secréter et de constituer une nouvelle organisation, ce qui demande beaucoup de temps et d'efforts.
L'objectif de mon article est de pousser le C.C.I. tant qu'il est encore temps à prendre conscience de ce risque et à réagir fermement. » (Paris, le 9/11/1990. MC.)

Ce dernier écrit a valeur de testament politique, et il ne visait pas que le CCI mais toutes les organisations à prétention révolutionnaire qui peuvent servir, comme je l’ai dit dans la première partie de cet article à aider théoriquement le prolétariat et lui éviter de gâcher son énergie. Ne nous avait-il pas souvent soufflé : « si nous ne sommes pas capables d’assurer, d’autres nous remplaceront ». Ceci est une leçon d’histoire : si l’un de nous tombe, un autre se lève et reprend le flambeau, telle est restée dans l’esprit de Marc la vision du prolétariat sans cesse renaissant, même après les pires contre-révolutions, même après les plus longues faillites d’organisations.

Théoriquement nous ne sommes plus tout nus comme les canuts. Les écrits marxistes de notre tradition de ce que Marc Chirik nommait justement la « Gauche communiste internationale » restent nos guides et disponibles sur le web ! La continuité aura alors des airs de retrouvailles !

S’il faut réécrire le manifeste communiste, nous le ferons.